Il y aura donc une jeune femme « légèrement voilée » sur une liste du NPA, parti qui prône l’émancipation prolétarienne.
Finalement, nous sommes plus tristes que surpris. Depuis sa récente fondation, malgré l’aide manifeste des médias[1. On comparera avec amusement le taux d’occupation de l’étrange lucarne avant les européennes par le NPA et celui du Front de gauche] le portant à bout de bras à travers la personne de Besancenot, le NPA est un mouvement qui n’arrive toujours pas à prendre la main. Doublé aux européennes par le Front de Gauche, il subit une hémorragie militante et les 8000 encartés qui restent se divisent en trois tendances égales autour du problème d’éventuelles participations à des exécutifs de gauche.
Pourquoi cette Bérézina pour des morts-nés? Parce que sous prétexte d’élargir son audience électorale, le NPA a sombré dans toutes les dérives sociétalistes imaginables. La LCR, d’où est issue le NPA, était une organisation marxiste-léniniste reposant sur des fondamentaux universalistes. Ils estimaient, à tort ou à raison[2. Il s’agit d’une simple précaution oratoire, n’est-ce pas, pour ne pas énerver tout le monde d’emblée], que le pays avait besoin de lutte des classes et que la lutte des classes ne se partageait pas en niches de contestation comme il y a des niches fiscales. Parce que le NPA, c’est un jour les sans-logements, un jour les gays, un jour les femmes, un jour les sans-papier. Comme si on ne pouvait pas être noire, lesbienne et SDF, par exemple et comme si cette accumulation digne du livre de Job donnait une priorité particulière dans la lutte contre l’offense qui est faite aux pauvres en général, quels qu’ils soient : il n’y a, on le sait pourtant, qu’un seul monde et la misère, contrairement aux richesses, ne doit pas se partager.
Le NPA a eu besoin d’utiliser jusqu’à cinq adjectifs mis côte à côte pour se définir lors d’un appel national en 2008 : « anticapitaliste, internationaliste, antiraciste, écologiste, féministe ». Quand il faut autant de mots pour délimiter un corpus idéologique, ce n’est pas la preuve d’une grande subtilité intellectuelle mais celle d’un confusionnisme programmatique doublé d’un absurde positionnement marketing destiné à ratisser plus large. J’aurais cru, naïvement, que la belle appellation de communiste, pour définir ces combats-là, suffisait. Parce que pour moi communiste, ça recouvre tout ça, forcément. Ca recouvre tout ça et beaucoup d’autres choses encore.
Mais pas recouvrir les cheveux d’une femme en signe d’appartenance religieuse.
Ca devait donc finir comme ça, le NPA.
Avec une candidate voilée. Avec le pire symbole de l’aliénation religieuse la plus dégueulasse. Avec une hypocrisie de dame chaisière en précisant que le voile est léger. Bien sûr, bien sûr : le voile léger, ca doit être comme la lapidation douce, ça doit faire moins mal. En théorie.
Tout ça parce que chez une poignée de gauchistes à QI d’huitre[3. Pierre Tevanian, Le voile médiatique (Liber, 2005) : petit livre d’apologie sur le voile à l’école qui est un coup de poignard bourdivin dans le dos de tous ceux à gauche qui mènent un vrai combat émancipateur] tout ce qui provoque la colère des dominants est une bonne chose. Quitte à foutre en l’air la laïcité, l’universalisme, l’égalité.
Je pense aujourd’hui en particulier à la tristesse de quelques anciens collègues, membres ou sympathisants de la LCR avec qui j’ai enseigné vingt ans dans un collège frontalier. Entre 1990 et 2008, nous avons vu à une multitude de petits signes à quel point la détresse économique qui ne cessait de croître dans cette vieille ville textile renforçait toutes les crispations identitaires : l’absentéisme massif le jour de l’Aïd alors que les élèves attendaient auparavant le dimanche pour le fêter, histoire de ne pas manquer les cours ; le nombre de filles qui se dévoilaient juste devant le portail de l’établissement alors que le phénomène fut marginal pendant des années, les visites médicales en 6ème et en 3ème qui tournaient au parcours du combattant pour le médecin scolaire quand il s’agissait d’examiner les gamines.
Oui, je suis triste en songeant comment ensemble nous tentions de préserver une certaine idée de l’école : nos salles de classe étaient le dernier endroit, non marchand et non religieux, où nos élèves pouvaient connaître quelques heures par semaine, la gratuité féconde de la transmission. Autant de petits Fort Alamo de la République pour laisser une chance à l’épanouissement dans l’égalité, une chance à Verlaine, Robespierre et Darwin contre les pédagogistes, les vendeurs de voitures qui voulaient sponsoriser la classe basket et les énervés du minaret théologiquement correct. Ils étaient d’ailleurs, au bout du compte, les mêmes : des fossoyeurs ravis d’un système que d’ultimes verrous de plus en plus fatigués les empêchaient encore de détruire totalement.
Depuis quelques mois déjà, dans le parti de Besancenot, les plus lucides, que ce soit sous l’appellation Gauche unitaire, en leur propre nom ou même sous l’étiquette NPA, rejoignaient le Front de Gauche en nombre dans la perspective des régionales.
Cette mauvaise action va accélérer le mouvement, évidemment. Je ne m’en réjouis pas plus que ça, ou plutôt je ne m’en réjouis pas plus que ça en pensant qu’il aura fallu ce symbole pour qu’ils se rendent compte enfin de la dérive de leur mouvement. Je ne m’en réjouis pas plus que ça parce que la fable islamo-gauchiste risque de faire les beaux jours des identitaires qui vont désormais avoir le vilain grain de l’ethnodifférentialisme à moudre dans leurs délires obsidionaux.
Je ne m’en réjouis pas parce que l’on a encore fait un pas, oh pas bien grand, mais un pas tout de même vers un pays qui ressemble de moins en moins à la France du CNR et de plus en plus au Liban de 1975.
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