La pluie ça mouille et le froid ça pince. Il n’y a donc plus grand monde pour faire du vélo dans les grandes villes, l’hiver venu. Il y a en revanche de plus en plus d’habitants, épuisés par les problèmes de circulation, qui envisagent de quitter les mégalopoles…
L’hiver, les vélos c’est comme les feuilles mortes. Il en reste bien quelques-uns à errer sur les pistes cyclables, mais ils ressemblent à ces blocs feuillus, épars, qui font de la résistance au bout des arbres dans le vent glacé, agités comme des manchons de pom-pom girl. Faut s’y faire, la plupart des véhicules à pédales ont disparu. Oh bien sûr, il reste quelques rares talibans du boyau et de la roue bandée pour continuer à faire glisser leur biclou sur les patinoires réservées, comme des pingouins désœuvrés sur la glace. Mais les stations Vélib ressemblent désormais aux garages parisiens qui osent encore vendre des 4×4, elles sont pleines à craquer.
Emmerder la majorité
Alors, de jour comme de nuit, on assiste à cette nouvelle curiosité citadine où d’immenses queues d’embouteillages automobiles se forment sur des voies uniques, alors qu’à quelques mètres de là, des kilomètres de pistes cyclables à double-sens restent aussi désertes et disponibles qu’une salle de réunion un jour de pot de départ en flex-work-télé-travail-covidé. C’est comme ça, il faut s’y habituer. Et puis, ça n’est finalement pas si étonnant: tout est fait aujourd’hui pour satisfaire les minorités. En particulier surtout lorsqu’il est question d’emmerder la majorité, donc le plus grand nombre.
Comme s’il était impératif d’accabler encore les millions de voitures qui galèrent chaque jour à essayer de traverser Paris. De fatiguer davantage les forçats qui cherchent une place à huit euros les deux heures. D’user définitivement les salauds qui s’agglutinent boulevard Saint-Germain pour aller Gare de Lyon, parce que les voies express sont désormais condamnées, donc elles aussi désertes.
Dégoûter les millions de clampins banlieusards qui luttent encore quotidiennement pour aller bosser (mais pour combien de temps) ? Étriller les centaines de milliers de propriétaires de deux-roues à moteur à qui il ne restait plus que la moto pour aller vite en ville et qui vont découvrir bientôt le stationnement payant ?
Les vieux ne comptent pas!
Ils sont autant de « clients » non-électeurs dont les maires de Paris, de Grenoble, Lyon ou Bordeaux n’ont cure. De toute façon, les édiles de la « gauchécolo » sont en mission divine. Au nom de leurs croyances, ils préfèrent privilégier un transport qui ne s’adresse finalement qu’à une minorité de personnes. Même si les abonnements Vélib ont doublé, faisant progresser de 30% avec eux le nombre des accidents. Ce sont les 20–50 ans qui poussent la pédale ou chevauchent les patinettes. Pour aller bosser de Paris à Paris. Les autres font de la marche à pied ou se farcissent le métro et le RER.
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Quant aux vieux, on s’en fout bien. Ils sont condamnés à rester chez eux, à se faire livrer, ou à prendre des taxis, puisque les mairies n’ont pas autre chose à faire que « reconquérir » les places de stationnement qu’ils utilisaient, pour y faire pousser de jolis pots de fleurs en végétalisation participative. On est là pour révolutionner. Pour marquer son temps aussi, en suivant une idéologie dogmatique. Pas pour caresser les travailleurs et les vieux dans le sens du poil.
Le pire, c’est que ces modes de déplacement “doux” sont aussi efficaces que les éoliennes un jour de calme plat. Ils sont alternatifs comme le vent et ne fonctionnent que six ou sept mois par an, d’avril à septembre. Et encore on a battu le record d’ensoleillement à Paris depuis 1959 !
Une écologie punitive
Les mairies vertes – ou assimilées – auraient pu avoir envie d’aider les victimes de la relégation périurbaine, en facilitant leurs déplacements automobiles pendant l’épidémie, afin d’éviter qu’elles ne s’infectent en se serrant dans les transports en commun. Elles ont préféré dépenser des centaines de milliers d’euros pour zébrer le sol de bandes jaunes, de quilles en plastique et de blocs de béton afin de délimiter ainsi les « coronapistes », ces allées cyclables provisoires (donc définitives) instaurées, imposées et baptisées par notre « drame de Paris » lors de la première vague Covid. Elles sont aujourd’hui totalement désertes et le resteront jusqu’au printemps.
Qu’importe si l’écologie des élus citadins est punitive ! Qu’importe qu’elle transforme nos cités en musées remplis de magasins de grandes marques, seules capables de payer les loyers en centre-ville. Pas grave si elle tue au passage les artisans incapables de se déplacer et de travailler à causes des PV. Rien n’est trop beau pour les bobos et les bénéficiaires des logements sociaux. Et surtout, pas grand-chose ne nous privera du généreux progrès qui consiste à pédaler pour se déplacer. Même si le vélo est finalement le transport le plus égocentriste, rétrograde et crevant qu’on ait jamais osé inventer depuis l’avènement des sorties de grotte…
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Les restrictions de circulation emmerdent ceux qui ont besoin de leur voiture mais sont assumées: tous ces réacs de la bagnole qui fument et qui puent le diesel, tous ces cons de beaufs qu’on a chassés des centres-villes depuis les années 70 à grands coups de mètres carrés inaccessibles ont été remplacés par une tripotée de bohèmes qui cultivent leurs radis en roof top, dans les espaces de végétalisation coconstruites et autogérés, en se délectant de tartares de quinoa. Madame Hidalgo et ses coreligionnaires ont réussi à faire fermer Fessenheim par pure dogme et rallumer les centrales à charbon. Il faut bien lutter contre le réchauffement climatique, la montée des océans et les pesticides. Mais elle restera dans l’histoire de Lutèce comme la reine qui a fait fuir les Parisiens dépités qui plient les gaules jour après jour.
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