Aurélie Daher, auteur du Hezbollah. Mobilisation et pouvoir (PUF, 2014), rejette d’une pichenette, dans l’entretien qu’elle a accordé à Daoud Boughezala, les informations que j’apporte dans Hezbollah, dernier acte (Plein Jour, 2014) concernant l’implication du Hezbollah dans le trafic de cocaïne. « Mamou s’est contenté de reprendre les conclusions du journaliste… », dit-elle sans que l’on sache de quel article il s’agit.
À l’évidence, Mlle Daher n’a pas cru utile de lire, ni même feuilleter, mon livre. Si c’était le cas, comment pourrait-elle affirmer que je m’inspire, sur la question du financement du Hezbollah, d’un unique article de presse américain, inexistant au demeurant ? L’implication du Hezbollah dans le trafic de cocaïne et la contrefaçon est étayée par de multiples rapports et déclarations officiels – de la Drug Enforcement Administration (l’agence américaine de lutte contre le trafic de drogue), du directeur général d’Interpol, de diverses commissions d’enquête du Sénat américain, de plusieurs think tanks spécialisés, sans oublier les articles de presse qui, entre 2000 et 2012, ont repris les communiqués des services de police équatoriens ou argentins annonçant l’arrestation de trafiquants liés au Hezbollah… Des citoyens allemands sont morts parce que leur voiture était équipée de freins de contrefaçon aimablement distribués par des officines liées au Hezbollah. Des informations éparses, qui toutes aboutissent aux mêmes conclusions, s’étalent sur la place publique depuis une quinzaine d’années. Il suffisait de les rassembler, ce que j’ai fait. J’ai même volontairement comprimé ce chapitre, qui aurait pu constituer un livre à lui seul. Si ces informations sont fausses, que Mlle Daher le démontre.
La naïveté de cette jeune universitaire qui croit qu’il suffit d’interroger les militants d’une organisation totalitaire pour obtenir la vérité a quelque chose de confondant. Il est sidérant qu’elle explique sans rire que le Hezbollah n’est pas un État dans l’État libanais, malgré un système de sécurité sociale (santé, retraite, aide sociale) qui soutient la totalité de la population chiite du Liban, un armement vraisemblablement supérieur à celui de l’armée officielle, un réseau téléphonique propre, un empire médiatique et internet tentaculaire (autant de réalités que j’analyse précisément dans mon livre). Il est comique qu’elle ose dire qu’en 2006 « 5 000 combattants du Hezbollah ont réussi à tenir tête à plus de 40 000 soldats israéliens » simplement parce qu’ils étaient « mieux entraînés », alors que les experts américains et européens savent tous que le Hezbollah n’est pas une milice régionale, mais une armée qui aujourd’hui donne la plénitude de sa mesure en Syrie et qui rivalise, précisément, avec la plus puissante armée du Moyen-Orient, celle d’Israël.
Aurélie Daher n’a, manifestement, pas eu d’autre sources que celles que le service de communication du Hezbollah lui a fournies. Parions même qu’à chacun de ses entretiens, elle était supervisée par un séide du mouvement. Elle reproduit donc une version officielle, et il ne lui a jamais traversé l’esprit qu’elle se faisait baratiner par le Hezbollah. À la belle époque stalinienne, on appelait les personnes comme elle des « idiots utiles ». Ceux qui mentent en toute bonne foi parce que leur foi les aveugle.
Quelle est la foi d’Aurélie Daher ? Pourquoi une telle servilité ? Deux questions qui jettent un éclairage inquiétant sur la qualité des recherches universitaires menées en France à propos du Moyen-Orient. Penser que cette « experte » pourrait être un jour mandée au Quai d’Orsay pour éclairer nos diplomates sur les menées d’un mouvement impliqué dans l’assassinat d’un ambassadeur de France et de Rafic Hariri a quelque chose d’angoissant.
*Photo : Hussein Malla/AP/SIPA. AP21572885_000001.
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