Homme de confiance de Marine Le Pen depuis 2009, Florian Philippot est devenu vice-président du Front National il y quelques mois. Cet ancien sympathisant chevènementiste incarne plus que tout autre la mutation républicaine et souverainiste du discours frontiste.
Causeur : Vous êtes issu d’une mouvance politique ancrée à gauche et vous retrouvez aujourd’hui dirigeant d’un parti classé à l’extrême droite du spectre politique. Ces catégories ont-elles du sens pour vous ?
Florian Philippot : Il est certain que pour un observateur extérieur qui porte des lunettes gauche/droite, passer de Chevènement à Marine Le Pen relève d’un grand écart incompréhensible.[access capability= »lire_inedits »] À mon sens, le vrai clivage idéologique sépare ceux qui croient encore en la France et ceux qui n’y croient plus. À ce titre, il y a une bien moindre distance idéologique entre Chevènement et Marine Le Pen qu’entre Chevènement et Hollande.
J’estime qu’aujourd’hui l’enjeu le plus important est la mondialisation. Doit-on s’adapter à la mondialisation en ouvrant complètement nos frontières et en mettant en conformité notre droit national avec les normes internationales ? Ou considère-t-on que l’Etat-nation a encore un rôle à jouer ? Plus que jamais, les Français ont le sentiment d’une continuité totale entre Sarkozy et Hollande. Sous Jospin, il y avait encore des traces de ce qu’on appelait la gauche, avec des marqueurs comme les 35 heures. Aujourd’hui, il n’y a plus aucune différence entre droite et gauche. C’est pourquoi le gouvernement fait diversion sur le sociétal avec le mariage homosexuel.
C : Et sur le terrain, dans l’imaginaire des Français, ce clivage existe-t-il toujours ?
FP : Il faut reconnaître que oui. Pour avoir fait campagne aux législatives, j’ai bien vu que l’opposition droite/gauche, qui a tout de même deux cent ans d’existence, subsistait dans les esprits. Assez souvent, les gens se définissent spontanément comme étant de gauche ou de droite. C’est sans doute un héritage de l’Histoire et on ne peut pas l’ignorer.
C : Si on applique votre nouveau clivage, force est de constater qu’à l’UMP ou au PS, très peu d’hommes politiques se font les chantres d’une mondialisation sans entraves et déclarent l’Etat-nation dépassé…
FP : Ils ne le disent pas clairement car ils savent qu’ils se mettraient à dos 90% de leurs électeurs ! Les Français sont très attachés à l’Etat et à la Nation. Mais il faut distinguer les discours des actes. Quand on accepte, comme le font l’UMP, le PS et la plupart de leurs partis satellites (Modem, Verts…), l’Europe fédérale et ses traités, on s’oppose de fait à l’Etat nation. Priver l’Etat de frontières, de monnaie, bientôt de budget, du pouvoir de contrôler les lois, voire de politique étrangère et de défense, revient à le démanteler.
C : À un moment donné, la nation a démocratiquement accepté d’aliéner certaines de ses prérogatives. Et les Français ont approuvé ce transfert de souveraineté…
FP : On a très rarement demandé l’avis de la nation sur ces questions décisives. En 1992, le traité de Maastricht a effectivement été approuvé par 51% des Français. En 2005, le peuple a dit non au Traité Constitutionnel Européen à plus de 55% sans qu’on n’en tienne compte. Pendant la campagne de 2007, Sarkozy avait promis un « mini-traité » en rupture avec la Constitution Européenne, avant de faire voter le traité de Lisbonne, qui en est le véritable copié/collé. Une fois de plus, les électeurs ont été trompés.
C : Vous avez intégré un parti à l’histoire et au positionnement politique très marqués. En tant que vice-président du FN, assumez-vous toute la tradition du mouvement ?
F.P : Oui. J’ai rejoint Marine Le Pen en 2009 puis le FN en 2011. Marine Le Pen a été interrogée à d’innombrables reprises sur les fameuses phrases de son père et a levé toute hypothèque là-dessus. Son positionnement a toujours été extrêmement clair. On peut approuver ou non son discours mais celui-ci a toujours été parfaitement républicain.
C : Parlons stratégie. Presque deux ans après l’élection de Marine Le Pen à la tête du FN, on constate une décrue de la diabolisation, mais on observe toujours un cordon sanitaire entre l’UMP et le FN. À terme, le FN pourra-t-il devenir un parti de gouvernement sans s’allier avec l’UMP ?
FP : Lors des dernières élections, l’UMP a quelque peu fait évoluer sa ligne nationale en matière de consignes de vote. Un peu confusément lors des cantonales en 2011, puis beaucoup plus clairement pendant les dernières législatives, ses dirigeants sont passés de l’appel à voter PS au « ni PS ni FN ». L’UMP doit gérer la pression de son électorat et de sa base, qui a déjà en grande partie migré sur notre terrain idéologique et ne comprend plus le maintien d’un cordon sanitaire entre nos deux partis. Cet électorat s’apercevra bientôt que l’état-major de l’UMP ne défend plus ce qu’il pense. Il viendra alors chez nous, ce qu’il a d’ailleurs commencé à faire.
C : Êtes-vous si sûr de l’évolution de l’électorat de UMP ? Avec 18% des suffrages lors de la dernière présidentielle, Marine Le Pen a réalisé quasiment le même score que son père au second tour de 2002…
FP : Compte tenu du niveau de participation, Marine Le Pen a rassemblé plus d’un million de voix de plus que son père au second tour de 2002. Néanmoins, la campagne de Sarkozy en 2012 s’est avérée infiniment plus efficace que la campagne de premier tour de Chirac en 2002. En 2012, Sarkozy a exalté la nation, remis Schengen en cause, promis de diviser l’immigration légale par deux, etc. Aidé par Patrick Buisson, il a explicitement ciblé la frange de l’électorat hésitant entre Marine Le Pen et lui-même. À cela il faut ajouter l’épouvantail Mélenchon qui a joué en sa faveur. Certains électeurs de droite craignaient la perspective d’un Front de Gauche à 17% avec un groupe parlementaire de 100 élus communistes et des ministres mélenchonistes. Effrayés, ils ont voté « utile » en glissant un bulletin Sarkozy dans l’urne dès le premier tour.[/access]
La suite demain…
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