Mes lectures de novembre: la biographie du colonel Olrik cosignée Védrine (oui, l’ancien ministre des Affaires étrangères !), des livres sur la place de la caméra chez Hergé et l’arrivée du jazz dans le Sud-Ouest.
Il est illusoire de croire que le critique littéraire est maître de son destin, encore moins de ses propres écrits. Je ne décide rien. Je ne choisis pas mes lectures. Ma plume a parfois des envies d’indépendance, de landes désertes et sauvages. Début novembre, je fais mienne cette strophe d’Alexandre Vialatte : « J’ai trouvé mon adolescence/ Au bord d’un grand chemin/Avec des airs à la Samain/Pleins de magnificence ». Je suis esclave des livres, tributaire de mes déambulations. Comme si une machinerie complexe aux vertus quasi-magiques organisait mon échéancier d’écriture. Un moment j’ai pu me leurrer, m’imaginer que mes articles étaient guidés par mon goût et mon humeur du moment. L’égoïsme me perdra. Par un phénomène inexpliqué, je dois avouer que les livres viennent à moi. Ils s’inscrivent sur mon chemin, pierres traçantes de l’automne. Ils m’arrivent par inadvertance, par accident presque. Avec l’âge, je suis sensible aux signes fugaces. On ne peut que se soumettre aux lois de la fiction, elles dictent notre quotidien. La réalité est forcément floue et monotone.
Il y a des limites à ne pas franchir…
Alors, les êtres inadaptés comme moi se réfugient dans les songes. La semaine dernière, au cours de mes promenades parisiennes, inlassable fouineur de boîtes, mécène des bouquinistes, à la recherche du dernier livre réprouvé, je suis tombé, à deux reprises, sur La Messagère de Sunsarié de Larcône. Même si nous étions en octobre 2019 et non en septembre 1962. Par précaution, ce jour-là, je n’ai pas sorti ma voiture du garage, ni emprunté l’autoroute de l’Ouest. Il y a des limites à ne pas franchir, des dieux à ne pas offenser. Taquiner les forces obscures n’est pas dans mes habitudes, surtout à cette période charnière de l’année. Paris avait enfilé ses couleurs de veillée aux morts. Une grisaille qui nous empêchait de voir les salissures du progrès, trottinettes et autres publicités géantes, cache-sexe du patrimoine et du vivre-ensemble. En marchant au radar, sur le pavé, je rêvassais à cette formule de Jean-Paul Clébert lue jadis dans Paris que j’aime… aux éditions Sun en 1956 : « ce gris subtil de l’Ile-de-France, couleur rare pour être appréciée à brûle-pourpoint ».
Olrik, l’art du méchant
J’avais acheté cet album de photos présenté par Marcel Aymé et légendé par Antoine Blondin à la librairie « Le Pont Traversé », rue de Vaugirard, près du Luxembourg, dans cet angle qui ressemble à une boucherie chevaline d’autrefois. Elle fermera bientôt ses portes en décembre, ai-je appris sur les réseaux sociaux, dernière avanie à ma mémoire fatiguée. Je dois ma passion pour l’œuvre d’André Hardellet et la collection « L’instant romanesque » de Balland à cette gardienne de musée, négociante en plaisirs imprimés. J’y ai acheté tant de précieux ouvrages comme Les Chasseurs Deux, l’édition de Jean-Jacques Pauvert datant de 1973 ou Pierrot des solitudes de Pierre Kyria que je relis toujours aux environs du 11 novembre. J’étais donc dans d’étranges prédispositions mentales pour me laisser emporter par La biographie non-autorisée de Olrik d’Hubert et Laurent Védrine aux éditions Fayard. Qui était vraiment ce colonel aux fines moustaches, inamovible porte-cigarette à la main ; chapka étoilée et manteau galonné dans Le Secret de l’Espadon ou plus tard ; nœud papillon et galurin à la Bogart dans Le Mystère de la grande pyramide. Edgar P. Jacobs dans Les mémoires de Blake et Mortimer – Un opéra de papier le décrivait ainsi : « l’un des plus prodigieux aventuriers que le monde ait connus, et aussi l’un des plus dangereux » ajoutant « l’impitoyable lucidité avec laquelle il observe le monde qui l’entoure n’inspire à cette nature orgueilleuse et rebelle qu’un souverain mépris (hélas ! combien justifié !… )».
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L’ancien ministre des Affaires étrangères et son fils journaliste/réalisateur ont enquêté sur une folle vie d’aventures et de chausse-trappes. On suit cette recherche en identité, navigant entre le vrai Olrik et son double de papier. Les pistes se brouillent parfois, on est, pêle-mêle, dans le roman d’espionnage, la jet-society et la grande délinquance, les soubresauts de l’Histoire et les agences d’État, les inventions délirantes et les chimères mythologiques.
Hergé puisait à bonnes sources
On passe des sommets du Tibet aux plages cubaines en faisant un détour par Le Caire, nid d’espions ou une clinique futuriste dans les alpages. Ce polar enivrant qui donne le tournis tente de réanimer les fils d’un destin hors-norme. Je vous le répète, les livres s’ordonnancent d’une étrange façon. Après les mystères d’Olrik, la ligne claire belge me poursuivait encore dans Tintin du cinéma à la BD de Bob Garcia, aux éditions Desclée de Brouwer. Quelle est la part du cinéma dans l’imaginaire du dessinateur ? De la pellicule aux cases, de Buster Keaton à Milou, d’Hollywood aux phylactères, qui, du crayon ou de la caméra a dirigé le sens du scénario ou orienté les gags ? Cette « liste non exhaustive des sources, influences et réminiscences cinématographiques d’Hergé, œuvre par œuvre » où les arts se fondent, est un merveilleux outil de compréhension d’une œuvre magistrale. De Tintin au Jazz, il n’y a qu’un battement. Emmanuelle Debur et Philippe Méziat signent Histoire/Histoires du Jazz dans le Sud-Ouest aux éditions confluences. D’un port à l’autre. De Bordeaux à New Orléans. De la Nouvelle-Orléans à la Nouvelle-Aquitaine entre 1859 et 2019, une fascinante histoire de résonances enchevêtrées. Ce très beau livre au style fiévreux, fourmillant d’anecdotes, raconte l’arrivée d’une musique venue du Nouveau Monde, d’un choc sonore à l’émergence d’une contre-culture. Au-delà du prisme régional, un document essentiel pour comprendre une musique et ses légendes. Trois livres de novembre à l’invisible fil conducteur qui ont croisé ma route et dont le tempo continue à m’obséder.
Olrik – La biographie non autorisée, Hubert et Laurent Védrine – Fayard
Tintin du cinéma à la BD, Bob Garcia – Desclée de Brouwer
Histoire/Histoires du Jazz dans le Sud-Ouest, Emmanuelle Debur et Philippe Méziat – Confluences.
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