En arrière-fond, non plus le village de la France tranquille, le village de la « terre qui ne ment pas » que François Mitterrand opposait avec succès dans sa campagne de 1981 à la modernité revendiquée par Valéry Giscard d’Estaing. Mais, indéniablement sublime, cette montée vers le château de Versailles dessinée par Le Nôtre. Simplicité, symétrie, pureté des lignes : une belle expression de l’idéal classique qui demeure, qu’on le veuille ou non, profondément inscrit dans notre inconscient collectif.
Au premier plan sur la gauche, un homme, que nul ne connaissait jusqu’à ces jours-ci, sauf à être un habitué de Radio Courtoisie, radio confidentielle dite « du pays réel » mais qui offre un certain nombre de programmes de qualité et fait intervenir des historiens parfois renommés. Cet homme, c’est Henry de Lesquen, avec qui, nous fait-on miroiter, la France redeviendra la France. Fichtre ! Est-ce à dire que, non seulement débarrassé de l’inutile concession au goût (ou au dégoût) du jour, à savoir l’œuvre d’Anish Kapoor, la sublime perspective de Le Nôtre et, à travers elle, la France se verront débarrasser de « la Gueuse » ? Le risque est faible, alors pourquoi parler de cela ? Le Parti national-libéral, dont Monsieur de Lesquen est le héraut, ne changera pas la donne en 2017, d’autant qu’il récuse par avance toute compromission avec un Front national qualifié de « lupanar pédérastique » (sic).
Pourquoi donc perdre son temps avec Henry de Lesquen, s’il « ne représente rien » ? Parce que, malheureusement, il « représente » en réalité quelque chose. Polytechnicien et haut-fonctionnaire, il « représente » une certaine idée de l’excellence française. Porteur d’un nom qui renvoie à la ci-devant noblesse, il « représente », qu’il le veuille ou non et il semble le vouloir, un héritage. Enfin, là encore, qu’on le veuille ou non, il évoque une France chrétienne, catholique. Alors trois fois honte ! Car il y a triple trahison : trahison du « clerc » qui a bénéficié de l’élitisme républicain ; trahison du Français dont l’idée qu’il se fait de la rénovation nationale est une injure faite à tous ; trahison du chrétien qui bafoue les principes évangéliques les plus élémentaires.
De quoi s’agit-il ? On apprend au détour d’articles et de dépêches d’agences que le compte Twitter de cet improbable candidat a été fermé en raison de « dérapages ». Les « dérapages » méritent d’être reproduits, le premier parce qu’il est un parfait exemple de cette étrange mixture entre le catholicisme identitaire de mouvements traditionnalistes et la politique d’influence de la Sainte Russie poutinienne qui n’a pas oublié les leçons du KGB. Quant au second, il parle hélas tout seul. Premier « dérapage » donc : « Le génocide des 30 millions de Slaves exterminés par les chefs bolcheviks, en majorité juifs, est prouvé ». M. de Lesquen est un homme cultivé, donc il ne dit pas « n’importe quoi ». Il ne le dit pas non plus « n’importe comment », car il sait très bien ce qu’il dit. Second « dérapage » : « Je suis émerveillé de la longévité des “rescapés de la Shoah” morts à plus de 90 ans. Ont-ils vécu les horreurs qu’ils ont racontées? […] La plantureuse Simone Veil “rescapée de la Shoah” a 88 ans. A ma connaissance, elle va bien », a écrit Henry de Lesquen dans deux tweets datés des 27 et 28 avril rapportés notamment dans un article du Figaro daté du 4 mai dernier, date à laquelle une enquête préliminaire a été ouverte par le parquet de Paris.
Alors oui, honte, honte, trois fois honte ! « Ne pensez-vous pas qu’il y a des hontes mieux placées ces temps-ci ? », me dira-t-on. Des colères plus utiles ? Plus urgentes ? Contre l’islamisme, par exemple ? Le racisme à l’égard des Noirs ? Mais c’est la même chose ! Lorsqu’un certain 17 juin 1940, les Allemands ont demandé à Jean Moulin de signer une déclaration infamante salissant les tirailleurs sénégalais, le jeune préfet d’Eure-et-Loire s’est tailladé les veines plutôt que d’avoir « à dire des choses contraires à l’honneur », selon les termes employés deux jours auparavant à ses parents. Il l’eût fait tout autant s’il se fût s’agit d’enfants juifs ou de tirailleurs algériens.
Et puis, pour parler de l’islamisme, je n’ai ni le talent ni les compétences d’une Malika Sorel, d’une Chahdortt Djavane et de beaucoup d’autres dont j’admire profondément le courage et dont je partage les vues et la vision de la nation française. Mais pour revenir à Henry de Lesquen et son château de Versailles, le président du Parti national-libéral sera sans doute étonné de savoir que mon aïeul, Nicolas Dupré de Saint-Maur, considéré par l’historien Julien Vasquez comme le précurseur de l’abbé Grégoire, fut appelé par Malesherbes peu avant la Révolution pour participer en tant que conseiller d’Etat à la commission chargée d’étudier l’alignement de l’état civil des non-catholiques sur celui des catholiques. Intendant du Roy en Guyenne, Nicolas Dupré de Saint-Maur était entré en relation avec les membres de la communauté juive de Bordeaux et avait plaidé leur cause. Comme quoi, Monsieur de Lesquen, même l’Ancien Régime…
Enfin, pour terminer et revenir aux insinuations monstrueuses de M. de Lesquen à l’encontre de Simone Veil, ces quelques mots de Bernanos, du grand Bernanos, celui du Journal d’un curé de campagne, l’homme capable de reconnaître ses excès, et dont M. de Lesquen et consorts ne pourront mettre en doute la « catholicité ». Nous sommes le 1er juin 1943, Bernanos prend dans le journal Libération la défense de l’ancien ministre Georges Mandel que la Milice assassinera un an plus tard : « Quant à Mandel, vous vous dites peut-être que n’ayant jamais montré beaucoup de goût pour les juifs, je ne parlerai pas de celui-là ? Détrompez-vous. C’est celui que vous haïssez le plus, vous et vos maîtres. A ce titre, il m’est mille fois plus sacré que les autres. Si vos maîtres ne nous rendent pas Mandel vivant, vous aurez à payer ce sang juif d’une manière qui étonnera l’histoire – entendez-vous, chiens que vous êtes – chaque goutte de ce sang juif versé en haine de notre ancienne victoire nous est plus précieuse que la pourpre d’un manteau de cardinal fasciste – est-ce que vous comprenez bien ce que je veux dire, amiraux, maréchaux, excellences, éminences et révérences ? »
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !