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Henri Raczymow: au coeur de la mémoire


Henri Raczymow: au coeur de la mémoire
Henri Raczimow par Claude Truong-Ngoc (Wikipédia)
Henri Raczimow "Elle chantait Ramona" Yiddish
Henri Raczimow par Claude Truong-Ngoc (Wikipédia)

Une chose dont l’écrivain protéiforme Henri Raczymow semble n’avoir jamais douté, c’est que la mémoire fût un vaste pays. Dans Elle chantait Ramona, il met en pratique les techniques développées par les micro-historiens pour faire revivre ses parents, Anna et Étienne, ses grands-parents, ses voisins, ses amis, et tout le quartier de Belleville dans l’immédiat après-guerre. Le roman fourmille de couleurs, d’odeurs, de voix et de chants, de bruits familiers, de langues mélangées, de chagrins aussi.

La joie de ceux qui ont beaucoup perdu

Anna et Étienne, jeunes mariés, rescapés des rafles, partent en voyage de noces en Normandie, pas très loin de Paris et évoquent, entre romans et chansons populaires, mots d’amour balbutiants et souvenirs des disparus (« Tu crois qu’ils peuvent encore revenir ? » demande Anna), l’insoutenable légèreté de la persécution. « À toutes les époques, c’était mauvais pour nous », conclut Étienne.

Les cuisses de grenouilles, c’est casher ? Et comment dit-on « biscoteaux » en yiddish ? Anna et Étienne, leurs parents, les autres « Yid », les Ashkénazes qui ont atterri là par hasard, qui sont vivants sans même le croire, ne jouent pas la comédie du vivre-ensemble avec les Français, dont on se méfie encore, parfois. Mieux, ils s’intègrent, ils incorporent à leur culture les codes du pays où ils vivront et s’aimeront désormais.

Ainsi, le jour des noces, l’orchestre traditionnel yiddish se met de manière impromptue à jouer La Marseillaise, que les amis du marié recouvrent immédiatement et sans se concerter de L’Internationale. « Tiens, Anna, rien que d’y penser, ça lui mettait les larmes aux yeux, plus encore que les mazel tov des uns et des autres et notamment du rabbin. »

Henri Raczymow rend un vrai et sobre hommage à ses parents, il reconstitue les années où il n’était pas là pour les entendre, et celles où il ne les écoutait pas, à part sa mère, qui chantait « Ramona », Eddy Mitchell et Charles Trenet par-dessus le son de la «tessef ». Une époque disparue, ressuscitée par le soin du détail et des portraits. « Étienne, relevant le col de son trench, allumait une Gitane-filtre-papier-blanc. Prédominait alors en lui (…) son côté Humphrey Bogart, mais à la française. L’Huma plié en huit sous le bras. Le journal de classe ouvrière. Davaï tovaritch, en avant prolétaires ! »

Ces guirlandes de souvenirs bruts, vivants, populaires et gouailleurs, rappellent la verve célinienne de Mort à Crédit, mais baignée chez Raczymow d’une humanité lumineuse, d’une joie désabusée, de la richesse inestimable de ceux qui ont beaucoup perdu.

Henri Raczymow, Elle chantait Ramona – Gallimard – 136 pages.

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étudie la sophistique de Protagoras à Heidegger. Elle a publié début 2015 un récit chez L'Editeur, Une Liaison dangereuse.

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