David Desgouilles. Mardi, vous participez au colloque au cours duquel vous débattrez notamment avec Jean Arthuis, Susan George, Jean-Michel Quatrepoint et Paul Jorion sur le thème du traité transatlantique. Il est organisé par le Comité Orwell dont la présidente Natacha Polony déplore que ce thème demeure confidentiel sans le débat public. Ainsi, la campagne de la primaire de droite ignore totalement le Tafta. Comment l’expliquez-vous ?
Henri Guaino. Il est paradoxal de parler autant de l’identité et aussi peu de ce qui la mine le plus : la religion du libre-échange avec ses traités qui aplatissent le monde en imposant des normes économiques, techniques, sanitaires, sociales, juridiques, et, au bout du compte, culturelles, uniques. Si vous posez la question aux candidats ils déclareront tous qu’ils sont contre, parce qu’aucun n’a oublié le traumatisme de l’Accord multilatéral sur les investissements ou celui de la directive Bolkenstein : des textes concoctés en secret qui, aussitôt connus, soulèvent une violente opposition de l’opinion qui sent son mode de vie menacé sans qu’on lui ait jamais demandé son avis. Mais le sujet est peu abordé parce que gouvernement a déjà pris les devants et surtout parce que l’Europe et le libre-échange font partie de la doxa des 40 dernières années vis-à-vis de laquelle la pensée des politiciens n’a pris aucun recul faute le plus souvent du moindre effort de réflexion personnelle. Je me souviens d’une visite de Manuel Barroso alors président de la Commission Européenne nous disant à propos des négociations de l’OMC : « vous n’allez pas sacrifier l’industrie à quelques poulets ! » Tout est dit ! Et avec ça, on peut espérer être recruté par Goldman Sachs… Je crains qu’au fond d’eux-mêmes la plupart des candidats soient sur cette ligne. Ils ont juste peur de contrarier trop l’opinion et de perdre les élections.
Les élections, parlons-en. Vous avez décidé de jumeler l’annonce de votre candidature à l’élection présidentielle avec la publication d’un livre d’économie de 650 pages. Vous ne partagez donc pas l’analyse, notamment faite par Nicolas Sarkozy, selon laquelle ce sont les questions identitaires et sociétales qui sont aujourd’hui prioritaires dans l’esprit des électeurs ?
Aujourd’hui c’est l’économie qui sert de principal argument pour discréditer la nation, l’Etat, les frontières, le modèle social, l’identité culturelle, la langue… Comment peut-on revendiquer d’être une nation avec une identité si les difficultés économiques, le chômage de masse, l’exclusion empêchent d’avoir le sentiment d’une destinée commune ? Si en tout, il faut imiter les autres, se rallier à un modèle unique ? Si on se contente de glorifier la concurrence et la mondialisation en n’imaginant pas d’autre issue que de « s’adapter à la mondialisation », c’est-à-dire de la subir, au lieu de se donner les moyens d’agir dans le monde tel qu’il est ?
J’ai publié ce livre parce que si notre vision de la politique économique ne change pas, tous les discours politiques qui prétendent changer la vie des gens et refaire une nation sont des mensonges.
Vos idées économiques sont aux antipodes de celles défendues par tous les candidats à la primaire LR. On a parfois l’impression que la leçon d’économie aux « trop bons élèves » leur est en partie adressée. Pourtant, il y a vingt-cinq ans, lorsque vous travailliez avec Philippe Séguin, ces conceptions économiques étaient largement partagées dans votre famille politique. Comment expliquez-vous qu’elles y soient devenues aussi minoritaires ?
La création de l’UMP a hélas servi de prétexte pour liquider le gaullisme. Pour être aimable, je dirai que c’est peut-être parce que c’était pour les politiciens de la génération qui était aux commandes une conception trop exigeante de la politique.
En tout cas, ils ont tellement bien appris les leçons de la pensée unique, tellement cédé au conformisme d’un petit milieu qui voulait prendre sa revanche idéologique sur toutes les leçons qui avaient été tirées de la grande dépression des années 30, qu’ils sont devenus incapables de tirer la moindre leçon de leurs propres échecs depuis 40 ans.
J’ai emprunté la formule des « bons élèves » à l’historien Marc Bloch dans « l’étrange défaite » : « les trop bons élèves restent obstinément fidèles aux doctrines apprises. (en 1940) ils occupent malheureusement les postes les plus élevés »
Trop de politiciens ne se nourrissent que des conversations des dîners en ville et des fiches des « bons élèves » traduites en éléments de langage. Les bouleversements de notre époque exigent davantage !
Vous avez des mots très durs sur l’élection primaire. Vous y voyez la victoire du régime des partis. Pourtant, ce système ne permet-elle pas d’élargir la désignation des candidats par un corps électoral plus large que celui des adhérents des partis ? Ce système ne démonétise-t-il pas au contraire le rôle des partis en demandant aux électeurs de sélectionner les candidats à leur place ?
Au RPR ou à l’UMP, jamais le parti n’a délivré d’investiture pour la présidentielle. Il était entendu qu’un candidat ne pouvait pas être l’homme d’un parti ou d’un camp puisqu’il aspirait à devenir l’homme de la Nation. C’est l’esprit des institutions de la Vème République. La primaire fabrique le candidat d’un camp et c’est le parti qui décide de tout : qui peut se présenter, qui peut voter, à quelles conditions… Sous couvert de démocratie, les partis cherchent à verrouiller le premier tour de la présidentielle. C’est l’étape ultime du retour du régime des partis que le Général De Gaulle avait écarté. Comme toujours ce retour qui perpétue des clivages qui n’ont plus de sens annonce une grave crise politique car le verrouillage finit toujours dans le drame.
Sur les questions européennes, économiques, l’identité ou l’école, les clivages ne passent plus depuis longtemps entre les partis mais à l’intérieur d’entre eux. Une recomposition du paysage politique n’est-elle pas nécessaire ? Vous-même avez davantage de points communs avec Jean-Luc Mélenchon, Arnaud Montebourg et Nicolas Dupont-Aignan qu’avec Alain Juppé, Bruno Le Maire et même le Nicolas Sarkozy de 2016.
Les partis sont redevenus des cartels électoraux qui ne sont plus cimentés par un idéal commun mais la seule conviction désastreuse qu’il faut à tout prix gagner les élections et qu’on verra bien après.
Avant la recomposition partisane, il faut la recomposition intellectuelle et morale. L’élection présidentielle est la seule occasion démocratique où cette recomposition est possible. Ne la manquons pas, les circonstances l’exigent Si nous la manquons, nous le payerons collectivement très cher parce que la politique sera incapable de d’affronter les désordres du monde, de l’Europe, de l’économie, de la société…
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