Il n’est jamais trop tard pour célébrer. En compagnie de multiples admirations et contre quelques dérisions. Le billet de Philippe Bilger.
Henri d’Anselme, le héros d’Annecy âgé de 24 ans, celui qui avec courage a empêché le criminel syrien d’aggraver encore son massacre, a été questionné avec finesse et délicatesse durant 25 minutes, par Pascal Praud, le 9 juin. Pour tous ceux qui se trouvaient sur le plateau – j’en étais – et sans doute pour les téléspectateurs, ce fut un moment d’émotion et d’intense gravité, à cause de la tragédie du 8 juin et grâce à la qualité humaine et intellectuelle d’Henri. Je n’ai pas pu m’empêcher de faire référence à ce que j’avais entendu sur France Inter dans l’émission de Sonia Devillers, le 8 juin, avec Elias Sanbar comme invité. Celui-ci dénonçait le culte des origines, approuvé par Sonia Devillers, qui, avec sarcasme, clairement pour s’en moquer, a raillé « les cathédrales ». Daniel Schneidermann, dans la journée du 9 juin, a publié une chronique dans Libération – « Henri d’Arc, un héros chez Bolloré » – dans laquelle il ironise sur « l’occasion pour Pascal Praud de pousser à fond sur le sentier de la transcendance ».
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Leçon de courage
Entre Sonia Devillers tournant en dérision les cathédrales (mais sans que Henri soit en cause) et Daniel Schneidermann, il y a eu précisément l’intervention d’Henri sur CNews où, avec modestie et intelligence, il a fait surgir dans le débat des vertus et des croyances qui, évoquées avec gravité et humour à la fois, ont constitué une sorte de miraculeux intermède mettant à l’honneur une autre jeunesse, d’autres élans et des valeurs trop ignorées. Avec quelle audace il a osé parler de la foi, du courage, de l’humilité, du chemin des cathédrales qu’il avait déjà commencé à parcourir et du fait qu’on ne pouvait se réclamer de Jésus-Christ en agressant de petits enfants, les plus fragiles d’entre nous… Comme il a tenu à faire partager cette conviction que ce qu’il a accompli et qui était instinctif devrait être, face au péril et pour protéger autrui, l’action de chacun. Mais rien de pesant ni de didactique dans ces échanges formidables où une qualité d’âme et d’esprit se révélait dans sa pureté…
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Je ne vois pas au nom de quoi on pouvait s’autoriser condescendance, aigreur ou critique face à cet exemple dont on n’était pas obligé de partager la foi pour admirer la personne… Je ne vois pas non plus pourquoi la transcendance aurait été absente du questionnement puisqu’elle se trouvait au cœur de la personnalité d’Henri et de sa conception de la vie… Pour ma part, si aucune dissonance ne m’éloigne d’une profonde admiration pour Henri, je souhaiterais cependant prévenir d’une tentation : le porter d’autant plus aux nues que ces hommages nous dispenseraient de manifester du courage à chaque fois que la quotidienneté nous en donne l’occasion. J’entends bien que ce n’est pas le courage d’Henri qui dans la banalité des jours risque de nous échoir. Mais de cette vertu capitale, il y a mille visages et je crains que nous soyons prêts à nous passer trop souvent du nôtre.
Henri est bien plus qu’Henri : son exemple devrait nous inciter à réfléchir sur nous-mêmes et je songe tout particulièrement aux politiques, de tous bords. Ce courage physique, cette indifférence à l’égard de ce qui pourrait l’atteindre, Henri les a portés au plus haut. Mais pourquoi, alors que son chemin était le plus dur, les politiques (au pouvoir et dans l’opposition) nous donnent-ils souvent l’impression d’être dénués de l’audace minimale, du courage seul remède contre la bêtise et la haine, qui devrait les faire se comporter avec cette sorte d’évidence qui a mû, sur un autre plan, Henri ?
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Je suis lassé de ces hommages permanents rendus à des personnalités que nous qualifions d’emblématiques, comme si elles n’appartenaient pas à notre condition et que nous n’en étions pas solidaires. Comme si nous étions voués à ne jamais les imiter. De ces politiques donnant le mauvais exemple quand, face à la folie du monde et aux atrocités, face à la résistance de quelques-uns, ils devraient au moins se tenir bien et, à leur place, faire preuve du courage qu’on attend d’eux, quelle qu’en soit la nature.
Il ne faudrait pas que Henri devienne l’éblouissante exception qui confirmerait la règle de l’abaissement.
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