Henri Calet, préfacé par Joseph Ponthus, montre que les écrivains non-alignés résistent mieux au temps…
En littérature comme en sport, je n’aime que les perdants. Heureux soient les oubliés des manuels d’école ! Ceux que l’Histoire fait mine de ne pas reconnaître sur le moment et qui pourtant, longtemps après, continuent à sédimenter nos bibliothèques. Sans eux, nos étagères seraient bien bancales. Nous avons appris à mal vivre dans leurs livres. Il y a un signe qui ne trompe pas pour justement reconnaître ces indispensables invisibles des lettres. Un signe infaillible, une boussole qui ne perd jamais le nord, moins l’université s’intéresse à eux, plus leur aura se propagera chez les lecteurs sincères et désordonnés.
S’ils ne font l’objet d’aucun colloque scientifique ou études paritaires, leur dissidence est le gage d’une qualité supérieure. Comment expliquer ce mauvais goût qui se répète à chaque génération pour les penseurs pesants et les romanciers plâtriers ? Une constante pour le consternant et le lourdaud, l’explicatif et le glaiseux, l’éthéré et le fadasse. Face à la légèreté, l’ironie douce et le désengagement, les bons élèves perdent tous leurs repères. Ils ont l’équilibre fragile.
La littérature n’est pas un médicament ni un tuteur
Pour ces esprits compacts, enclins à enfoncer toujours les mêmes portes, il faut du solide, du nobelisé, du statutaire, du sérieux qui en impose. Du validé par les institutions et les médias complices. Ces pauvres enfants veulent lire pour comprendre le monde, se raccrocher aux branches de la connaissance, se reposer sur des diplômes et des concours administratifs. Il n’y a rien à comprendre, chers escholiers. La littérature n’est pas un médicament ou un tuteur. Elle ne devrait pas s’enseigner, elle a trop à perdre à s’allonger sur le divan des facultés. Ce n’est pas un module pour étudiants zoomers ou une patine de culture générale pour boomers, c’est un cri qui vient de l’intérieur.
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De ces choses inutiles et fondatrices qui ne servent à rien. On les conserve pieusement auprès de soi. On a parfois du mal à les avouer en public. Il y a une forme d’indécence à parler de ses écrivains fétiches comme de ses relations amoureuses. L’exclusivité du lien qui unit le lecteur et l’auteur ne se découpe pas en fiches synthétiques. Le cadavre de la littérature peut se passer des soins palliatifs des professeurs-légistes, qu’on le laisse reposer en paix. C’est pourquoi je ne me considère pas comme un critique classique car j’ai toujours une très forte réticence à partager mes goûts comme s’il y avait violation de mon espace intime. J’aime l’idée, un peu romantique et aristocratique, d’entretenir le secret des livres. Le danger de cette posture-là est de laisser la littérature dans les mains des maîtres et/ou des marchands, ils vont de pair. Ce sont les deux faces d’une même pièce, celle d’une nation qui se vautre dans les fausses gloires et le style poussif. Alors, je prends ma plume pour défendre, une fois encore, les réfractaires de l’édition, ceux qui n’ont droit qu’aux miettes de la célébrité et dont la mémoire est entretenue par une poignée de fidèles.
Flibustiers et orpailleurs
En lisant la préface de Je ne sais écrire que ma vie de Henri Calet qui vient de paraître aux Presses universitaires de Lyon, je suis tombé sur cette phrase posthume de Joseph Ponthus mort à 42 ans le 24 février dernier et qui a connu un immense succès avec A la ligne, traduit en une vingtaine de langues : « Je dois avoir une vingtaine d’années et commence à m’aventurer un peu plus loin que mes grands classiques. Je découvre Guilloux, Fallet, Blondin, Nimier, Dabit ou d’autres, autant de « petits maîtres » de la littérature française du XXe siècle qu’on oublie un peu trop, hélas, qu’on ne lit et dont on ne parle plus guère, sinon entre initiés, confidents ou amis ». Ces quelques mots, les derniers peut-être, d’un écrivain prometteur qui nous a quittés si jeune, m’ont ému. Sans le connaître, nous étions de cette famille élargie qui aime les flibustiers et les orpailleurs. Ces « petits maîtres » sont des guides indisciplinés, des noyauteurs de bonheur, de grands fauves du pavé. De ces écrivains en marge qui ont payé, soit leur passé politique, leur mauvais caractère, leur absence de pathos, leur côté Clochemerle ou leur haine des meutes, il n’y avait pas de règles communes. On les lit sans capote anglaise ou mode d’emploi. Quand on cherchait à savoir dans quelle case ranger Tout sur le tout, Calet répondait : « En vérité, mon livre n’est ni tout à fait une autobiographie ni tout à fait un roman, mais d’un genre hybride. Je vous confesse que j’ai longuement cherché une étiquette qui lui convînt… Je n’ai rien trouvé. J’avais songé quelque temps à « livre fourre-tout ». Mais cette formule eût pu paraître quelque peu désinvolte. En définitive, j’ai renoncé à tout classement ».
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Chacun peut compléter à sa guise la liste des « petits maîtres ». J’ose affirmer que les romans de Paul Guimard, Jacques Perret, Pascal Jardin, Kléber Haedens ou Jean Freustié ont plus compté pour moi que des dizaines d’auteurs consacrés et dorés sur tranches.
Je ne sais écrire que ma vie de Henri Calet – édition établie par Michel P. Schmitt, préface de Joseph Ponthus – PUL
A la ligne de Joseph Ponthus (Folio)
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