Henri Bosco (1888-1976) n’est plus lu. À peine connaît-on son long-seller L’Enfant et la rivière, parce que, au collège, on en étudie quelques extraits pour la dictée. C’est tout… On a tort…
On dit vaguement qu’Henri Bosco a écrit des livres pour enfants, un malentendu qui accroît la désaffection du public.
Bosco était provençal, il aimait le soleil, les paysages méditerranéens, la sensualité des corps bronzés, la musique du vent, le soir, dans les feuillages jaunis prématurément, le mystère de l’amour. Il faut chercher Dieu dans sa prose poétique ; il s’y cache pour mieux nous ouvrir les portes du paradis. Bosco repose dans le cimetière de Lourmarin (84), à quelques pas de poussière d’Albert Camus.
C’est l’été, je crois, qu’il est préférable de lire Bosco. J’ai trouvé chez un bouquiniste, Irénée, paru en 1928. D’emblée la fluidité de sa phrase s’impose. « Ce fut à Capri. Un bloc de pierre bleue dans une eau de cristal où nagent des requins pleins de mélancolie. Un funiculaire (très cher) qui grimpe dans les fleurs jusqu’à une terrasse pompéïenne… »
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Irénée apparut alors. « Elle dansait sur la terrasse du funiculaire. » De grâce, ne dites plus, après avoir lu cet incipit, qu’il s’agit d’un auteur pour enfant. Irénée est frêle, « mince comme un crayon » ; elle possède de larges yeux verts et sent le jasmin. Entourée de quatorze jeunes filles inverties, elle plaît au narrateur, le jeune Pierre Lampédouze ; pire, elle l’envoûte, comme un rêve qui vous hante dans la nuit balsamique. Nous sommes à Capri. « Où fuir quand on est dans une île ? » se demande Pierre, amoureux transi. Le secret de son amour ? « Du jour où je vis Irénée, confie-t-il, je sentis dans mon cœur le désir de la fuir. » Le récit nous plonge dans une atmosphère tyrrhénienne saturée de parfums. Pierre est-il le double de l’auteur ? C’est probable. Alors quand il dit que « L’homme est étrange. Tout l’inquiète et le dérange. Il ne vit que de souvenir », il n’est pas faux de comprendre que c’est Bosco qui s’exprime. Le récit se poursuit dans une sorte de somnolence éveillée. On comprend que Pierre soliloque en permanence avec ses « trois ‘’moi’’, celui qui (lui) parle, celui qui (lui) répond, celui qui ne dit rien (…) » Il ne reverra plus Irénée.
La seconde partie s’ouvre sur la baie de Naples. Un an a passé. Le narrateur est seul et Irénée l’accompagne en pensée. La nuit sucrée où « les jeunes filles enlacées sont revenues sur la terrasse, molles, les mains encore humides d’eau », délivrera-t-elle son secret ? Aphrodite détient la réponse. Naïveté, perversion, goût de l’imprévisible, jeux sensuels, s’entremêlent sans cesse. Laissons-nous porter par le surréalisme solaire de Bosco jusqu’au vertige, sous l’autorité amicale de Max Jacob, mort en 1944, à Drancy.
Henri Bosco, Irénée, Collection L’Imaginaire, Gallimard. 224 pages.
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