Henri Bergson: un saint laïc?
On croit avoir un vieux fond de culture, on a entendu parler dans ses jeunes années d’Henri Bergson. Le philosophe de la durée, de l’intuition et l’analyste du rire. Puis le temps a fait son œuvre d’effacement. Il m’a fallu attendre la superbe et déchirante biographie, par Michel Laval (Il est cinq heures, le cours est terminé, le 13 janvier aux éditions Les Belles Lettres), de cette personnalité exceptionnelle pour savoir qui elle était vraiment, pour connaître la profondeur de sa pensée et ses extrêmes qualités morales et humaines. Pour que Henri Bergson renaisse en moi et pour tous ceux que ce livre passionnera, bouleversera. Superbe existence, en effet, que l’auteur qualifie « d’itinéraire », qui a conduit le jeune Bergson pourvu de tous les dons jusqu’aux cimes du savoir, de la gloire académique et littéraire.
Abandonné dans une pension israélite à Paris par ses parents, Henri Bergson (né en 1859 et mort à Paris en 1941) est passé par l’École normale supérieure, a obtenu l’agrégation de philosophie, est devenu un professeur prestigieux au Collège de France, a été admis à l’Académie française et a vu consacrés ses talents littéraires et la perfection limpide et si française de son style par le prix Nobel de littérature.
Il est cinq heures, le cours est terminé…
Ce cumul qui aurait pu en détruire plus d’un, serait bien incomplet si on ne retenait pas notamment Essai sur les données immédiates de la conscience et Les deux sources de la morale et de la religion qui ont révolutionné la philosophie de l’époque. Au point qu’Emmanuel Levinas a parlé de lui comme de « l’un des plus grands génies philosophiques de tous les temps ».
Il est intéressant de remarquer comme la sociabilité polie mais peu expansive de Bergson lui a cependant attiré les plus vives adhésions, avec des admirateurs toujours prêts à le défendre, à se battre pour lui, comme l’intrépide et plus que jamais actuel Charles Péguy. Son immense réputation philosophique et littéraire, qui a suscité jalousies et aigreurs, auxquelles il a opposé la sérénité de son âme et la force de son esprit, n’a jamais empêché Henri Bergson de faire preuve d’une absolue lucidité sur les périls qui menaçaient la France et sa civilisation et sur le danger allemand.
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Déchirante vie donc, qui n’a pas détourné Bergson des orages de l’Histoire, l’a incité à accepter des missions diplomatiques, l’a plongé dans l’angoisse en même temps que la maladie l’affaiblissait gravement. Cette conscience douloureuse, chez lui, qu’à certains moments, quand la patrie est menacée dans son être même, il est urgent de reléguer les spéculations intellectuelles au profit d’autres urgences. Un homme admirable, d’un courage et d’une résolution inébranlables, un homme qui, alors que la France se déshonorait par la collaboration et la persécution des Juifs, a refusé de se désolidariser de ceux-ci en coupant court à une conversion catholique annoncée. Les derniers mots de Bergson furent : Il est cinq heures, le cours est terminé…
On comprendra pourquoi ce livre, décrivant une sorte de « saint laïque », fait passer son lecteur, avec une maestria due à une écriture à la fois dense et sensible, du cœur à l’esprit, de l’intelligence à l’émotion et presque, dans les dernières pages, aux larmes.
Il est cinq heures, le cours est terminé: Bergson, itinéraire
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