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Henri Béraud, le vagabond des capitales

« Henri Béraud, version reporter », préface de Cédric Meletta (Séguier)


Henri Béraud, le vagabond des capitales
Le romancier et journaliste français Henri Béraud (1885-1958) Wikimedia commons

Ce flâneur salarié, pionnier du grand reportage et styliste hors pair, prix Goncourt 1922, est à redécouvrir.


En voilà un tombé dans l’oubli : Henri Béraud (1885-1958), romancier célèbre de l’entre-deux-guerres, prix Goncourt 1922 pour Le Martyre de l’obèse (réédition Albin Michel, 2016), journaliste, pamphlétaire (longue brouille avec André Gide), redoutable polémiste au style à la fois lyrique et percutant, et surtout infatigable grand reporter, à l’œil précis et à l’analyse percutante.

Les mauvais choix

Henri Béraud, bon vivant, cholestérol et acide urique toujours en hausse, a commencé sa vie à Lyon et l’a finie sur l’île de Ré. Il a été condamné à mort pour intelligence avec l’ennemi, a été gracié par de Gaulle, est passé par le bagne de Ré justement, pour finir paralysé, cloué sur sa paillasse, dans la solitude et le dénuement, avec pour compagnon le vent d’ouest qui débarbouille.

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C’est qu’il a pris de mauvaises voies, le gros Bébert, de funestes erreurs d’aiguillage, que les vainqueurs de 1945, les gaullistes en particulier, avec en tête l’amiral Muselier, traité d’ « amiral de bateau-lavoir » par l’ironique Béraud, lui ont fait payer comptant. Il a certes cumulé. Son antisémitisme. Pas pardonnable, surtout quand on a découvert les camps de la mort, la Pologne des barbelés et des cheminées des fours crématoires. Son anglophobie tenace. Elle nait au lendemain de son reportage en Irlande avec Kessel. Le comportement des Anglais l’écœure, il tire le premier, ça fait mouche.

Faut-il réduire l’Angleterre en esclavage ?

En 1935, il écrit Faut-il réduire l’Angleterre en esclavage ? Je saisis mon exemplaire pris moi-même dans la bibliothèque de Béraud dans sa maison de l’île de Ré (je raconterai un jour l’histoire) et je lis une page où il fustige l’éternelle politique de l’Angleterre contre les autres puissances européennes : « Elle consiste, cette politique, à troubler le continent pour régner sur la mer. Elle consiste à solder les consciences, à trouver des mercenaires, à semer la discorde. Elle consiste à interdire la paix entre les nations. Elle consiste à jucher des clergymen sur des coffres-forts afin de prêcher aux nations pauvres le renoncement. Car tel est bien le prix du confort anglais. » Après l’attaque de Mers-el-Kébir, menée par la Royal Navy contre la flotte française, le bouillant Béraud ne décolère pas et en fait des tonnes. Il est aussi pétainiste. Pas vichyste. Les arrivistes grouillent dans la ville thermale comme la vermine sur le dos de la charogne. Trop de « longues figures ». Non, pro Pétain, le type qui fait don de sa personne à la France, la terre et les morts, c’est charnel. Pétain protège contre l’Allemagne hitlérienne que Béraud abhorre. Ça fait aujourd’hui grincer les dents que d’écrire cela. Mais quand la meilleure armée du monde, paraît-il, est défaite en quelques jours (qui sont les responsables ?), que les civils sont sur les routes, que les familles sont séparées, que la vie s’effondre, on peut comprendre leur immense désarroi. Et puis tous ces soldats prisonniers en Allemagne, plus de 2.600.000, otages de Hitler, on en fait quoi ? Mais Béraud est un vaincu. À rayer.

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L’écrivain Cédric Meletta a pourtant décidé de le remonter des enfers où croupissent les parias et de nous présenter un choix d’articles (de 1919 à 1933) signés de ce témoin inspiré, sorte de pythonisse replète qui annonce la montée générale du meurtre après avoir arpenté les capitales d’Europe, en particulier Vienne. Après 1933, Béraud, même pour les dynamiteurs de la bienpensance, devient infréquentable. Dans Gringoire, hebdomadaire nationaliste, le « pèlerin de l’info » se déchaine contre le Front populaire, surnommé « Frente Crapular », et son antisémitisme devient sans limite, alors qu’en 1923 il prononçait à Médan, un hommage à Zola en présence d’Alfred Dreyfus. Cédric Meletta, dans sa préface, dont le style n’est pas s’en rappeler celui de Céline, souligne : « Tous ces reportages, c’est de la préscience. Soit, le film de l’événement avant l’événement, tel que pourraient le voir sachems et chamanes de l’autre côté de la vie (…). Tout est prévu, senti. Jusque dans le moindre détail. Les moustaches de Staline, la corrosion du pangermanisme, l’Anschluss, garante de la paix dans le monde. » Ce livre, Henri Béraud reporter, est une mine pour les historiens curieux. Il est à recommander aux jeunes journalistes en manque d’inspiration. Quant aux lecteurs lassés des eaux tiédasses de la production culturelle normée, ils y trouveront une respiration salutaire.

Les géants meurent aussi

Dans sa maison de Ré, Les Trois Bicoques, achetée avec les droits d’auteur du Goncourt, le réprouvé hémiplégique continue d’écrire. En 1953, il publie Les derniers beaux jours (Plon), livre de souvenirs et de portraits. Son style enchante même s’il se teinte de gris et qu’il palpite sous la bruine océane. Le « flâneur salarié » ne marche plus, mais sa mémoire mouline. Il raconte sa visite à Clémenceau, retiré dans sa propriété de Saint-Vincent-sur-Jard, non loin des Sables-d’Olonne, après sa candidature malheureuse à l’Élysée. La visite dure une heure, le « Tigre » parle sans le quitter du regard. Puis c’est le moment de la séparation. Clémenceau le reconduit jusqu’au sommet du chemin. Béraud : « Arrivé là, il me tendit trois doigts que je sentis durs et forts sous le gant. » Le journaliste s’éloigne puis se retourne. Il se souvient : « (…) je vis ses épaules et sa tête descendre de l’autre côté du mamelon, profilés en ombre chinoise à contre-jour du ciel, et il disparut très vite, comme s’il était tombé à l’eau. »  Béraud, en réalité, « filme » sa fin.

Henri Béraud, version reporter, préface de Cédric Meletta, Séguier.

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Pascal Louvrier est écrivain. Dernier ouvrage paru: « Philippe Sollers entre les lignes. » Le Passeur Editeur.

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