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Marianne, c’est lui

« Marianne au pays des merveilles. Chroniques d’humeur » de Henri Beaumont (Isidore Éditions)


Marianne, c’est lui
© MATHIEU PATTIER/SIPA Numéro de reportage : 00860528_000002

Un recueil de chroniques piquantes nous permet de lancer un regard mi-amusé mi-médusé sur les dix dernières années écoulées. L’érudition de l’auteur pointe la dégringolade de notre société. C’est un triste spectacle, mais en bonne compagnie.


Henri Beaumont. Est-ce un pseudo, un homme discret ou une femme déguisée, ou autre encore ? C’est en tout cas une plume. Et un esprit aiguisé, critique et acerbe. Un amoureux des mots et des formules qui piquent, qui n’a pas honte de citer en latin dans le texte et d’oser les pastiches. Qui qu’il soit, cet auteur (encore) inconnu est un fin observateur de la dégringolade de notre société, cette Marianne bafouée qui, les genoux à terre, demande encore à être frappée. Les chroniques qui composent son ouvrage témoignent du jour sans fin qu’est notre vie politique, de la foire aux vanités dans laquelle se perdent ceux qui nous gouvernent, et d’une France cocotte-minute qui finira par exploser à force de maintenir son couvercle fermé.

Ces chroniques écrites durant dix ans dans l’intimité témoignent aussi d’une certaine solitude : celle de l’érudit, de l’esthète, de l’honnête homme face à un monde qui a ravalé les codes et la culture de sa civilisation. Comme tout le monde n’est pas obligé de couler en même temps, on peut, à l’instar de Henri Beaumont, chercher appui sur quelques piliers, quelques fondements. Lui le fait à grand renfort de citations choisies, piochant dans la littérature, la philosophie et le cinéma, la saillie parfaite. C’est réjouissant. « Selon Michel Audiard il existe trois méthodes traditionnellement françaises pour ruiner une affaire qui marche : les femmes, le jeu, les technocrates. Les femmes, c’est le plus marrant, le jeu c’est le plus rapide, le technocrate, c’est le plus sûr. »

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L’intérêt d’un recueil de chroniques est aussi de nous rafraîchir la mémoire, de nous rappeler les événements oubliés, de nous signaler ceux qui nous ont échappé et de nous prouver avec quelle constance on cherche à nous imposer des vessies lumineuses. Ainsi, cette tribune sur l’Europe, publiée dans Libération le 25 mars 2018 et signée par Marie Desplechin, Yannick Jadot, Dominique Méda, Benoît Biteau et Damien Carême. On y lit : « L’Europe, si elle le désire, peut réguler la mondialisation, plutôt que de la subir… L’Europe est l’échelle indispensable pour sortir de l’âge du carbone et des pesticides, combattre les paradis fiscaux ou réguler les Gafa… L’Europe peut créer des millions d’emplois à haute qualité sociale… Son espace de délibération démocratique est unique, qui dépasse les frontières nationales pour construire des souverainetés partagées. » On voudrait rire qu’on aurait du mal. Henri Beaumont, qui aime l’Europe de Dante et de Dürer, de Shakespeare et des Lumières, a le bon goût de ne pas apprécier la garbure bruxelloise qu’on augmente à petit feu avec les morceaux de sociétés passées à la moulinette du wokisme. Il salue cependant « la figure mythique de Didier Erasmus. Les bourses éponymes permettent à un doctorant roumain en finance internationale de boire des coups à Dublin et draguer, en anglais, une thésarde espagnole spécialiste de « Matriarcat et troc équitable de torchis bio au sud Togo », en écoutant sur YouTube un rappeur letton engagé. Suspense torride… Le Roumain va-t-il conclure ? » Des questions fondamentales, notre chroniqueur ne cesse de s’en poser. Il dresse aussi des constats. « Le fantasmagorique « modèle français » n’abuse plus personne mais le mythe fait de la résistance. Imperméable au volontarisme de Droite, insensible au réalisme de Gauche, indifférent au centrisme du Centre, en marche, au galop, sur un yacht, en pédalo, en paddle, en Ehpad, il traverse les quinquennats, les crises, les idéologies, les virus, les réchauffements, droit comme un hic, à quatre pactes. » 

La rentrée littéraire est également l’occasion de faire le bilan du ratatinement général. Beaumont écrit ce qui suit en septembre 2014, il aurait pu l’écrire cette année et pourra sûrement ne pas changer une ligne dans dix ans : « Madame Bovary se lit comme un roman ! On adore ! Jubilatoire ! Dans les librairies, pour guider le chaland, floraison de Post-it coups de cœur, Goncourt des maternelles, Lacoste d’or du premier roman érotique, sélection des libraires du Marais poitevin. Les bizuths ne sont pas les plus mauvais. 700 romans, des hectolitres de soupes claires, des klougs et doubitchous, des psychanalystes bavards, marcheurs mystiques, journalistes blogueurs, chercheurs qui sautent sur l’oukase, économistes atterrants, grands témoins exhibitionnistes, analphabètes autodidactes » et la liste continue… Ailleurs, Beaumont s’interroge : « Bizarrement, à Gauche, il n’est plus question du capitalisme qui exploite et aliène. L’antéchrist, c’est le néo-libéralisme. Le libéralisme, c’est comme le cholestérol, il y a le mauvais – le néo –, et le bon – l’ancien –, au bon goût d’autrefois. »

L’ouvrage, illustré de splendides reproductions d’estampes anciennes, se conclut par un petit abécédaire des plus délectables, un florilège de citations dans lequel Victor Hugo côtoie Emmanuel Berl, Thucydide et Jean Giono, Dostoïevski et Roland Jaccard… même San Antonio : « La grandeur de la Gauche, c’est de vouloir sauver les médiocres. Sa faiblesse, c’est qu’il y en a trop. »

C’est fou tout ce qui a bien pu se passer en dix ans. Tant de choses et tellement de vent. « En France, le deuil des convictions se porte en rouge et à la boutonnière. » Jules Renard.

Henri Beaumont, Marianne au pays des merveilles. Chroniques d’humeur 2011-2021,  Isidore Éditions, 2021.



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Journaliste. Dernière publication "Vivre en ville" (Les éditions du Cerf, 2023)

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