Les larbins, pour reprendre le scud envoyé par Jean-Luc Mélenchon, sont souvent des journalistes. Et quand il s’agit de littérature, le larbin est soit un roquet – Yann Moix, lorsqu’il ne défend pas courageusement Polanski – soit un nain rockuptible, culturel et branché, politique mais pas trop, intransigeant toujours. Sauf devant Houellebecq et Ellis.
Le nain rockuptible ne se rend pas compte que Ellis, comme Houellebecq, se gausse des ronds-de-jambes interminables et de la jouissance si peu intime du journaliste qui se croit accepté dans le royaume du « grantécrivain ». Tout ça parce que le nain a eu le privilège de voir son maître allumer des cigarettes dans un lieu non-fumeur et ouvrir une canette de redbull dans un loft de la Cité des Anges.
On en est là : le loft et le redbull font le papier. Ce qui évite de fouiller la carcasse des hommes et des mots.
Golden boys à bout de souffle
Avec Suite(s) Impériale(s), Ellis nous parle d’hier et d’aujourd’hui, c’est-à-dire des soubresauts désabusés d’un monde déjà mort au milieu des années 1980. Dans son entreprise, il n’est guère éloigné d’Oliver Stone replongeant Gordon Gekko, sorti de prison, dans l’enfer de Wall street.
Vingt-cinq ans après, Ellis retrouve Clay, le héros de son premier roman Moins que zéro, entre autres ombres plus ou moins vivantes de la vieille jeunesse dorée de Los Angeles : « Ils avaient fait un film sur nous. Le film était adapté d’un livre écrit par un type qu’on connaissait. Le livre était un truc simple: quatre semaines dans la ville où nous avions grandi et c’était un portrait assez juste, pour l’essentiel […] Par exemple, il y avait vraiment eu une projection d’un snuff film dans cette chambre de Malibu, un après-midi de janvier, et oui, j’étais sorti sur la terrasse qui donnait sur le Pacifique, et c’était là que l’auteur avait essayé de me consoler en m’assurant que les cris des enfants torturés étaient simulés, mais il avait souri en disant ça et j’avais dû m’éloigner. »
La mise en bouche d’Ellis, glacée et très tranquille, ravive l’écho des mots de Fitzgerald à Hemingway : « Les gens riches sont différents de vous et moi. » Et le souvenir, aussi, de Bright lights, bright city de Jay McInerney. Sur le fumier de l’Amérique de Reagan, les golden boys ont cru réaliser leurs rêves minuscules, oubliant qu’ils étaient perdus depuis longtemps. Toujours plus d’argent, de coke, de filles faciles, de paillettes, de mauvais alcools. Leur histoire ne se répète qu’en farce tragique. Et ils n’ont pas lu Marx, et la mélancolie peine à percer sous le masque de la paranoïa. Pourtant, dixit Ellis dans Suite(s) impériale(s): « La tristesse : elle est partout. »
Bonjour tristesse
Elle suinte, en effet, de chaque page de ce roman noir, seconde peau de l’auteur qui, bien plus que dans l’autobiographique et fantasmé Lunar Park, met son coeur à nu. Si le Patrick Bateman de American psycho, c’était lui, Clay c’est encore Ellis. Scénariste à Hollywood parce que les filles n’aiment plus les écrivains, il joue de son éphémère pouvoir pour draguer profs de gym, apprentie actrice et call girl du ouèbe. Idiot inutile et pervers de la grande machine à broyer les êtres, il tombe amoureux. Ca fait partie du jeu et de la panoplie. Elle s’appelle Rain, veut un rôle dans une série qui n’existera jamais, ne croit qu’à la gloire et à la beauté. Entre elle et Clay, il y aura des promesses non tenues, du sexe en pleine débâcle, la peur qui obsède, des rails de poudre et du gin, et la mort comme une Jeep aux vitres teintées en arrêt devant le Doheny Plaza.
Que sont devenus les golden boys ? Ils sont à bout de souffle, illusions définitivement crevées. A la fin de Suite(s) Impériale(s), exorcisme ou balle dans la tête, cette phrase : « Je n’ai jamais aimé personne et j’ai peur des gens. »
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