La pianiste Hélène Grimaud, connue dans le monde entier, ne passe jamais inaperçue. Quand elle entre dans un restaurant, tout le monde la regarde et s’extasie devant sa beauté. C’est une femme charismatique, comme il en existe peu. Tantôt blonde, tantôt brune, pour casser son image, ses yeux bleu-gris envoûtent. Elle est toujours dans un avion, dort dans des chambres d’hôtel, remplit les salles de concert du monde entier. Elle est une force qui va, difficile à saisir. Elle se ressource sur la côte Ouest des États-Unis, chez elle, recluse, pour échapper au bruit et à la fureur, et protéger les chevaux mustangs, massacrés par l’appât du gain. Ce n’était donc pas évident de la saisir de « l’intérieur ». C’est la prouesse qu’a réussie Stéphane Barsacq avec le livre Renaître.
Se remettre au monde
Dès les premières pages, on comprend qu’on ne lit pas un ouvrage de commande, rédigé en trois mois, relu sur un coin de nappe. Il s’agit d’un livre de longue haleine, patiemment mûri, travaillé et retravaillé. C’est un livre qui a su donner du temps au temps. Il n’en est que plus rare. Hélène Grimaud apparaît à la fois forte et fragile, intelligente, surdouée, audacieuse, exaltée, parfois « désaxée » par le tourbillon de l’existence, mystique, amoureuse de la nature, des loups, des chevaux, des grands espaces, de la musique, bien sûr, en un mot : oxymorique. Stéphane Barsacq pose les (bonnes) questions et Hélène Grimaud répond sans fard. Il faut reconnaître que ses confessions tombent à pic. L’actualité internationale fait désespérer de l’homme. La barbarie gagne du terrain comme jamais, la nuit nucléaire nous guette, et les mots d’Hélène Grimaud nous redonnent l’espoir, et nous rappellent que la grâce existe et qu’elle peut, et doit, sauver l’humanité. « C’est une petite fille, à la sortie d’un concert, écrit la pianiste virtuose, qui m’a donné l’élan qui me manquait. Elle m’a demandé simplement : La musique, ça sert à quoi ? » La réponse se trouve dans son livre, résumée par son titre : Renaître. « Ce n’est pas assez d’être né : il importe de se remettre au monde, et de l’aimer ».
Le loup est l’avenir de l’homme
Hélène Grimaud est reçue première à l’unanimité, à l’âge de treize ans, au Conservatoire de Paris. Autant dire que le piano est plus qu’une passion, c’est une véritable vocation, au sens religieux du terme. Mais cette femme de cœur à l’incroyable énergie a d’autres préoccupations. Elle a fondé un centre de préservation des loups aux États-Unis. Dans le loup, elle retrouve l’enfant sauvage qu’elle a été, cette difficulté à se sociabiliser, cette inaptitude à trouver sa place dans un monde matérialiste. Le défendre, c’est également préserver l’équilibre de l’écosystème de la planète. Son combat n’est pas idéologique, il est dicté par l’observation et le bon sens. « Aujourd’hui, écrit Hélène Grimaud, sur cette terre où l’homme pratique le grand génocide de la vie – chaque jour des dizaines d’espèces animales et végétales disparaissent –, où 16 125 nouvelles espèces sont menacées d’extinction, au rang desquelles, nouvellement désigné après l’ours polaire, l’hippopotame, il faut affirmer haut et fort que le loup est l’avenir de l’homme. » La musique est longuement évoquée dans l’ouvrage – comment pourrait-il en être autrement. C’est elle, après sa mère, d’origine corse, qui l’a éduquée. Mieux même : elle l’a élevée. Elle cite ses amis, qui ne la quittent jamais : Bach, Mozart, Haydn, Rachmaninov, Brahms, Chopin, et beaucoup d’autres. Hélène Grimaud n’élude aucune question. Elle parle également de la littérature, du féminisme, du piano, de son approche charnelle et sensuelle de l’instrument, du besoin de solitude, de nature pour retrouver l’équilibre perdu, de la foi si peu éloignée de la musique, de sa beauté que voulait filmer Ingmar Bergman. Hélène Grimaud est particulièrement touchante quand elle évoque son corps, ce corps qu’il convient de « dérider ». Au milieu des loups, dans la forêt, en compagnie de ses deux chiens, elle danse. Oui, elle danse avec les loups. Et là, elle fait « l’expérience physique de la joie. » Elle danse, comme dansait Bardot, la femme qui a tout sacrifié pour sauver les animaux de la souffrance infligée par l’Homme. Grimaud se souvient : « J’ai dansé ainsi pour la première fois enfant, en Camargue, dans les roseaux, après l’envol des chevaux dans celui des flamants roses. J’ai eu le désir soudain et irrépressible de virevolter, les bras tendus au ciel, les jambes ailées de gouttelettes qui volaient au soleil de son éclat. » Lisez ce livre. Vous verrez comme il fait du bien.
Hélène Grimaud, avec Stéphane Barsacq, Renaître, Albin Michel