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« Ma BD est une revanche sur Internet »


« Ma BD est une revanche sur Internet »
"David", Michel-Ange, 1504
Michel-Ange Obalk Sixtine
"David", Michel-Ange, 1504

Propos recueillis par Gil Mihaely

Causeur. Vous publiez ce que vous appelez la « première critique d’art en BD » : pourquoi ce choix de la BD, plutôt décalé pour traiter de l’histoire de l’art, est-ce un genre a priori populaire censé atteindre un nouveau public ?

Hector Obalk. Ce n’est pas du tout un choix, mais le résultat imprévu d’une recherche dont je ne savais pas qu’elle me mènerait à faire cette sorte de BD. Au départ, je cherchais seulement le moyen d’illustrer ma petite prose en restant au plus près du texte. Ça veut dire qu’il ne s’agissait plus d’illustrer chaque paragraphe, ni même chaque phrase, mais chaque bout de phrase. En général, on dit qu’un livre est très illustré quand il y a deux ou trois images par page, mais pour moi, c’était très insuffisant. L’idée a alors été de faire courir une même phrase sur une petite dizaine d’images disposées côte à côte. De sorte qu’il n’y ait qu’une seule phrase par page ou par double page, c’est ça qui est très nouveau : l’œil du lecteur lit la phrase en même temps qu’il aperçoit, dans sa vision périphérique, ce à quoi elle se rapporte. Quand vous mettez des cases côte à côte, ça finit par avoir l’apparence d’une BD, mais les amateurs de BD vous diront que ce n’est pas de la BD, et ils n’auront pas tort.

Il y a déjà eu des BD sur Picasso, Léonard et d’autres…

Oui, ce sont des biopics dans lesquels le dessinateur met en scène Picasso qui rencontre Gertrude Stein avec une casquette sur la tête. Moi, ça reste de la critique d’art, et mon seul but est de mieux montrer les bons détails d’œuvres de l’artiste. Je ne dessine rien.

 Si je vous comprends bien, c’est une BD dont le seul dessinateur est Michel-Ange…

On peut le dire comme ça pour rigoler, à cette différence près bien sûr que Michel-Ange n’a jamais peint toutes ses fresques pour qu’elles soient recadrées dans un bouquin. Et puis quand ce sont des sculptures, mon album tient plutôt du roman-photo. Et ça me faisait très peur, parce que c’est en général très moche le roman-photo. Plus généralement, il est très difficile de mettre plus de deux œuvres d’art sur une page sans que ce soit d’une très grande vulgarité visuelle…

Votre livre est adapté de vos films produits pour Arte, notamment des épisodes 9 et 10 de votre série Grand’Art. Donc, votre BD, c’est d’abord un succédané de votre cinéma documentaire, réduit à son story-board…

Vous êtes dur parce qu’il y a un travail de mise en page. Mais oui, j’ai tout mis dans la BD sauf la musique de Bach ! Cela dit, c’est peut-être mieux que le film, parce que ça laisse tout le temps que vous voulez pour voir les images, ce que le rythme de mes montages ne permet pas. Et puis j’y ai rajouté des développements qui ne sont pas dans le film. On dira ce qu’on voudra sur la vidéosphère à laquelle tout le monde est obligé de se soumettre pour faire passer le moindre message sur Facebook, la vidéo sera toujours moins précise et fiable que l’écrit. Et ma BD, c’est ma revanche de l’imprimé sur internet…

 

 

Sauf qu’internet diffuse aussi bien les écrits que les vidéos, et ces écrits peuvent très bien se passer de l’édition papier et du circuit des librairies.

Oui, mais ce n’est justement pas du tout le cas de ma BD qui est quasiment illisible sur un pdf ou une tablette, car il faut zoomer et dézoomer tout le temps pour la lire ! Tout l’art de la BD est dans l’harmonie visuelle du dialogue entre la case et la page. La case donne l’anecdote et la page donne la couleur de l’ambiance. Seuls les bons auteurs de BD ont compris ça. Il n’y a aucune différence de qualité entre le rendu d’un beau livre « normal » et celui du même beau livre sur internet. Il n’y a pas moins de confort de lecture ni moins d’informations sur internet… sauf pour les BD. La BD reste le seul objet d’édition dont la lecture est pourrie sur internet. Je suis un grand amateur de typo et de bibliophilie et j’y ai trouvé l’occasion de mettre dans cet album toute ma culture de graphiste.

Votre album n’est pas un livre scolaire sur Michel-Ange et votre entrée en matière, lors d’un de vos shows à la Géode, est assez abrupte. Ceux qui ne connaissent pas la biographie de l’artiste ni le contexte historique de son œuvre devront chercher ces informations ailleurs. Cette BD est-elle destinée aux connaisseurs ou, au contraire, vise-t-elle à rendre l’artiste accessible à tous, en dehors de toute interprétation contextuelle ?

Que de sous-entendus dans votre question ! Comme si l’interprétation érudite était plus profonde que les études authentiquement visuelles, et non littéraires, que je propose au lecteur ! Et comme si la présentation de l’œuvre dans tous ses détails n’était utile qu’au grand public, et pas aux connaisseurs dont je vous assure qu’ils ignorent la plupart des détails que je donne à voir. Vous êtes vraiment des littéraires à Causeur, pour préférer l’intelligence du texte à la fulgurance de la beauté, et ne tolérer l’art que dans la mesure où il produit des textes ! Et puis comprenez-moi, tout ce qu’on sait sur la vie d’un artiste du XVIe siècle tient en 20 pages car on ne sait presque rien, en réalité. Et il suffit de lire Wikipédia pour connaître la bio de Michel-Ange, le pouvoir des papes, le nom de ses concurrents, etc. Certes, il a fallu des années et des années de travail en bibliothèque aux historiens d’art pour être sûrs de la date d’une toile, à partir des factures de pigments, des lettres de commanditaires, des témoignages des personnages de la cour. Leur travail est très précieux et n’a rien de méprisable, mais je ne suis pas historien, je suis critique d’art. L’historien d’art cherche des informations comme s’il était entendu que la valeur artistique est déjà acquise. Tandis que pour le critique d’art, la valeur d’une œuvre doit être toujours remise en question, il prononce alors des jugements, mais son vrai travail est de les soutenir avec des sortes d’arguments qui font mouche, et qui aident tout un chacun à mieux apprécier les œuvres. Bref, je fais de la critique d’art à l’intérieur de l’histoire de l’art.

Mais il n’y a pas que la beauté des images. Ces images ont du sens qu’il faut savoir mettre en contexte et interpréter.

Je ne vois pas quel contexte particulier je n’ai pas précisé pour apprécier les œuvres. Prenons l’exemple de sa fameuse Pietà de Rome. Certes, il faut savoir ce qu’est une Pietà, le moment où la Vierge Marie pleure, son fils sur ses genoux. Et bien sûr, je l’explique, mais en précisant que c’est particulièrement difficile en sculpture puisque les deux corps sont sortis d’un même bloc de marbre. Qu’y a-t-il à savoir pour l’apprécier ? Je ne vois pas. Il y aurait pourtant plein de choses à raconter sur la signification de la Pietà, et qui sont passionnantes. Mais elles n’ont aucun intérêt pour cerner celle de Michel-Ange puisqu’elles seraient tout aussi vraies pour la Pietà de l’artiste le plus médiocre de l’époque de Michel-Ange. Le critique d’art perd son fil s’il fait trop attention à l’interprétation du sujet. Car son seul fil, c’est « en quoi ça concerne le génie de Michel-Ange, en quoi ça explique la beauté de son œuvre ». Et quand je fais remarquer que le Christ est sur le point de tomber des genoux de sa mère, c’est bien plus qu’une information objective ou un baratin poétique, c’est une interprétation personnelle, mais elle est visuelle, et elle ne prend que quelques mots à dire, c’est de la critique d’art.

 Pourtant votre album ne parle pas que des œuvres mais aussi de vous-même, narrateur-cinéaste-conférencier, en bonhomme érudit et souvent drôle. Et n’y a-t-il pas dans cette façon de vous mettre en scène une forme de narcissisme qui fait que vous éclipsez l’artiste dont vous parlez quand les critiques professent habituellement une certaine modestie ?
Si vous dites cela, ce n’est pas parce que j’éclipserais mon sujet, c’est seulement parce que ça ne se fait pas de se faire photographier devant les œuvres d’art. Mais si ça peut rendre le récit plus fluide, ça ne me dérange pas du tout. Les leçons de modestie me font rigoler parce que s’il y a un critique qui s’agenouille dès qu’il le peut devant le sublime, c’est moi. Tout le monde me reconnaît à mon enthousiasme lyrique, d’autant plus que le lyrisme est un registre que je revendique même s’il s’est perdu au XXe siècle. Et d’ailleurs, si je n’étais pas présent dans mes films en tant que cinéaste (puisqu’on m’y voit dans les making of inclus), le spectateur décrocherait. Mes interventions sur l’image me permettent d’intégrer un ingrédient narratif, parfois drolatique, dans le flot de mes descriptions lyriques. Bref, c’est une pause qui alterne avec l’exercice d’admiration que j’impose au lecteur tout le long de 95 % du bouquin.

Michel-Ange jusqu’à la Sixtine, une BD d’Hector Obalk, 96 pages, 431 illustrations, éditions Hazan, 25 euros.



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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