La communication était censée être leur fort. Mais la mauvaise réception de l’annonce de la hausse de la CSG des retraités doit beaucoup au manque de tact de certains membres du gouvernement. Leurs déclarations maladroites contribuent à séparer les générations plutôt qu’à les rapprocher.
Je suis retraité, mais ne manifesterai pas contre les décisions du gouvernement sur la baisse, sensible, du niveau des retraites[tooltips content= »J’admets cependant sans mal que cet article constitue en lui-même une manifestation« ]1[/tooltips]. Malgré le constat de la dégradation de mon niveau de vie depuis plusieurs années, et mon profond malaise devant les décisions et les déclarations publiques quant à la situation morale et financière des retraités, je veux, à mon modeste niveau, laisser la chance au nouveau président, intelligent et dynamique, de mûrir son jugement et son action politique. Propos condescendant voire un brin injurieux, m’objectera-t-on peut-être. Non, pas dans mon esprit, mais précisément c’est ce que j’éprouve, intimement, devant les déclarations et les actes du gouvernement à l’égard des intéressés.
La condescendance des minots
A mon sens d’ailleurs, si les ministres concernés avaient choisi une autre approche socio-psychologique, faite de respect et d’empathie à l’égard des personnes concernées, leur indignation et leur opposition aux décisions brutalement prises à leur détriment auraient été bien moins vives que celles, légitimes et justifiées, auxquelles on assiste actuellement, et qui laisseront des traces dommageables pour l’esprit public et la cohésion nationale. A mes yeux, c’est donc à juste titre que beaucoup de retraités, surtout les moins bien lotis, rejettent avec indignation cette augmentation de 1,7 point de la CSG (en réalité 1,83, rectifient certains économistes), pour financer la baisse des charges sociales des salariés.
Je parlais de condescendance : la faible sensibilité psychologique des êtres, quand elle s’allie à cet obscur et assez enfantin sentiment de puissance que donne une part de pouvoir, surtout politique, pour être répandue, n’en est pas moins dangereuse. On peut pardonner à un supérieur hiérarchique jusqu’à une stupide brutalité verbale, on ne le tiendra jamais quitte de sa condescendance, attitude humiliante, pire encore que l’arrogance ou la morgue. C’est, je crois, Philippe Raynaud[tooltips content= »Auteur notamment de La politesse des Lumières : les lois, les mœurs, les manières, Gallimard, 2013. »]2[/tooltips] qui rapporte ce mot émouvant de Mme de Staël : « Tout homme de goût et d’une certaine élévation d’âme doit avoir le besoin de demander pardon du pouvoir qu’il possède. » Aucune perte, d’aucune sorte, n’en est à craindre, bien au contraire ! On peut, on doit mêler l’autorité et le respect, le pouvoir et l’éthique : il s’agit d’un même devoir de rigueur, envers les autres et envers soi. C’est à peu près ce que signifiait Nietzsche lorsqu’il affirmait que la forme contient du courage.
Voici donc, pour être concret, un aperçu de ces étonnantes déclarations de membres du gouvernement : « Nous demandons un effort de redistribution pour que le travail paie mieux. » L’effort demandé aux retraités porte sur « quelques dizaines voire quelques centaines d’euros par an pour les plus fortunés, il permet à leur génération de tendre la main à la génération plus jeune. » Le gouvernement reconnaît l’effort demandé aux retraités et leur demande « de l’assumer dans l’intérêt de leurs enfants et petits-enfants. »
Du tac au tact
Je dois avouer que cette expression de « tendre la main » me paraît parfaitement grotesque et insupportable en la circonstance. Et Yves Thréard met très exactement l’accent sur l’erreur majeure de procédure dans cette affaire, lorsqu’il note que « dans sa présentation, cette mesure manque de tact ». Il est clair aussi que cette posture cache bien mal l’instrumentalisation, sinon la volonté de culpabilisation des intéressés. La parole affichée de solidarité impérative entre générations vise en fait à dissimuler la volonté de persuasion : en réalité, ce qui est recherché, c’est la neutralisation de toute velléité de réaction ou d’opposition, qu’on aura par avance discréditée par le sentiment de honte suscité chez qui n’envisagerait pas d’accomplir de bonne grâce son devoir civique. Le gouvernement, par ses représentants dans cette affaire, a fonctionné de la façon la plus maladroite et la plus absurde qui soit. On a subtilement tenté d’induire dans l’esprit des retraités, par certaines déclarations plus ou moins délicates que, s’ils n’étaient pas des profiteurs du système, du moins devaient-ils comprendre qu’ils étaient plutôt des nantis, plus ou moins inutiles socialement. On n’allait pas jusqu’à leur demander de bruyantes manifestations de joie, ou simplement de soulagement, mais enfin…
Il n’en reste pas moins que le succès est loin d’être acquis, et il ne sera pas forcément facile de rectifier le tir. Qui, possédant un minimum de dignité, pourrait supporter que des ministres plus ou moins anonymes viennent lui expliquer que la ponction spéciale qu’on va lui imposer est une manifestation de sa solidarité naturelle avec la jeunesse laborieuse du pays ? Ce propos n’est pas seulement discrédité a priori aux yeux de tous ceux, retraités en tête, qui ont assisté impuissants, au fil des années, de la part de l’Etat, à des dérives financières extravagantes, mais il est proprement insultant : le retraité que je suis, et beaucoup avec moi j’en suis sûr, diraient à ces ministres s’ils les rencontraient : « Puisez encore dans mes fonds personnels si vous le décidez ainsi, même contre mon gré, mais de grâce gardez pour vous vos arguments indécents. Je suis encore capable, malgré mon âge, d’aider sur mes propres deniers ceux que je pense nécessaire et juste de soutenir : tout d’abord en effet les jeunes gens de mon entourage qui en ont besoin, mais aussi les associations et fondations de soutien moral et financier que j’estime. »
Confrontation Sociale des Générations
J’aimerais ajouter ici une réflexion qui m’importe. Dans les faits, cette « politique » est comparable à celle induite par la « discrimination positive », qui constitue parfois également une forme de pratique condescendante contre-productive à l’égard des populations immigrées : elle pousse en effet nombre de ceux qui en profitent à la culpabilisation intéressée de la population autochtone et des autorités, ainsi qu’à divers abus ; elle entraîne la suspicion, souvent injustifiée, sur leurs diplômes et leurs fonctions, et elle crée du ressentiment et de l’acrimonie à leur égard. Est ainsi accélérée par l’Etat lui-même une dangereuse césure psychique entre deux parties de la société.[tooltips content= »C’est le point fondamental exprimé depuis de nombreuses années déjà, avec une lucidité et une fermeté exemplaires, par Malika Sorel-Sutter. »]3[/tooltips]
De même, la conduite manipulatrice adoptée sur cette question de la justification de la forte augmentation de la CSG mène, de fait, à l’inverse de ce qu’elle prétend rechercher : la concurrence malsaine, le sentiment aigu d’injustice et de brutalité, la tension sociale enfin, plutôt que la solidarité entre les générations.[tooltips content= »Elle peut apparaître aussi comme un voile porté devant ce qui constitue, pour l’heure, sinon un échec, du moins l’inaboutissement encore d’une politique déterminante, la réduction des déficits publics. »]4[/tooltips]
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