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Haro sur les hétéros!

Les hétéros devront admettre leur défaite devant le monde merveilleux des queers...


Haro sur les hétéros!
Marche des fiertés à Munich, 13 juillet 2019. "Les garçons ne seront pas toujours des garçons".

Les hétérosexuels perpétuent une réalité biologique : l’attirance entre les sexes opposés, nourrie par l’amour et l’instinct de reproduction. Intolérable, selon les néoféministes et autres militants trans et LGBT qui pointent un patriarcat à abattre. Ces thèses, défendues par une poignée d’universitaires dans les années 1970, sont désormais relayées par des millions de personnes sur les réseaux sociaux.


Dans le roman d’Anthony Burgess, La Folle semence, l’auteur de L’Orange mécanique imagine un monde où, à cause de la surpopulation, l’hétérosexualité est persécutée par l’État. Nous nous trouvons actuellement au seuil d’un monde où l’hétérosexualité risque d’être proscrite, malgré la chute dramatique du taux de natalité en Occident, pour des raisons purement idéologiques. Depuis une cinquantaine d’années, l’hétérosexualité subit un assaut frontal d’idéologues qui veulent la détruire. Aujourd’hui, ces attaques, continues et grandissantes, coïncident avec une série de pressions sociétales, économiques, technologiques et démographiques qui menacent la solidité d’une institution culturelle fondée sur la réalité biologique. Si l’assaut est mené par des propagandistes fanatisés appartenant aux milieux activistes et universitaires, le message de ces derniers est relayé par des idiots utiles dans les médias, les maisons d’édition et sur des plateformes comme TikTok. Ces béni-oui-oui veulent faire avancer leur carrière ou se donner une image vertueuse. C’est ainsi qu’un ruisseau de publications et de conférences dans les années 1970 et 1980 est devenu un torrent qui, à coups de fausses thèses scientifiques, de fictions mensongères et de contradictions hypocrites, exerce une influence néfaste jusque dans les écoles, les manuels médicaux et les chambres à coucher.

À bas les pères !

On peut définir l’hétérosexualité par le lien fort, quoique non inévitable, entre trois éléments : l’attraction érotique vers des personnes du sexe opposé ; la procréation ; et la constitution d’un couple dans le but éventuel d’élever des enfants au sein d’une famille. Selon les idéologues, ces trois éléments constituent le fondement même du patriarcat. Car ce dernier ne se réduit pas à une simple forme d’organisation socioéconomique, d’ordre féodal ou capitaliste. Il repose sur la sexualité. Les hommes tiennent les femmes par le sexe, en les persuadant qu’elles sont attirées par les mâles dont elles doivent servir les intérêts, tant sexuels qu’économiques. Marx et Engels avaient critiqué la famille bourgeoise, considérée comme une institution hypocrite où le travail des femmes est exploité par les hommes. Mais ils ne rejetaient pas la famille en soi et encore moins l’hétérosexualité. L’extension du marxisme au domaine érotique arrive à l’époque de la libération sexuelle.

En 1970, paraissent deux ouvrages clés dont la plupart des concepts sont devenus monnaie courante aujourd’hui : Sexual Politics de l’Américaine Kate Millett, et La Dialectique du sexe de la Canadienne Shulamith Firestone. La première interprète les rapports entre les sexes comme des rapports de classe et voit dans l’hétérosexualité un système de domination et de soumission. Les rôles sexuels ne sont pas naturels, mais appris. La seconde appelle à mettre fin à toute différenciation entre les individus par les organes sexuels et même à libérer la femme de la maternité par l’invention d’utérus artificiels.

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En 1980, deux autres publications viennent étayer ces propositions. Selon La Contrainte à l’hétérosexualité et l’existence lesbienne, essai de la poétesse américaine Adrienne Rich, tout dans la culture et les sciences est fait pour imposer l’hétérosexualité comme norme. Dans La Pensée straight, Monique Wittig proclame que les concepts d’homme et de femme « doivent disparaître politiquement, économiquement, idéologiquement ». Quand Judith Butler publie Trouble dans le genre en 1990, avec sa théorie du genre comme performance, elle enfonce une porte déjà largement ouverte.

Comphet et testostérone

L’expression utilisée par Rich en anglais, « compulsory heterosexuality » (« hétérosexualité obligatoire »), qui anticipe le concept d’« hétéronormativité » forgé par l’universitaire Michael Warner en 1991, fait fureur aujourd’hui auprès des jeunes sous la forme d’une abréviation : « comphet ». Des vidéos portant ce hashtag sur TikTok ont engrangé 195 millions de vues. Le terme sert d’invitation à s’interroger sur sa sexualité avant que la société impose la norme hétéro. Des listes de questions circulent sur internet prétendant permettre aux adolescents de mieux décider s’ils ne sont pas LGBT plutôt qu’hétéro. Aux États-Unis, des sondages récents indiquent que deux fois plus de jeunes s’identifient comme non-hétéros qu’il y a dix ans. Il se peut bien que plus d’homosexuel(le)s fassent leur coming out, mais c’est aussi le signe que l’image de l’hétérosexualité est devenue tellement ringarde, voire négative que la nouvelle génération hésite à l’assumer.

L’essai de Wittig, qui se termine par la déclaration « les lesbiennes ne sont pas des femmes » (dans la mesure où elles ne participent pas au système de différenciation entre les sexes), a donné lieu à un mouvement de « séparatisme » par lequel des lesbiennes – à l’instar d’Alice Coffin – se coupent du monde hétérosexuel. Plus radicale et plus fidèle à l’esprit de Wittig est la vision promue par la « transpédégouine » (sa traduction de queer) Juliet Drouar, dans son livre de 2021 Sortir de l’hétérosexualité. Pour elle, à la place d’hommes et de femmes, il ne devrait y avoir que des personnes. La sortie en question conduirait à un univers indifférencié peuplé par des êtres non genrés qui transforment leur corps selon leur gré. Depuis Millett et Rich, la stratégie pour nier le caractère « naturel » de l’hétérosexualité consiste à y voir le résultat d’une propagande patriarcale. Mais Drouar explique les différences entre les sexes par un programme d’« eugénisme ». Elle reprend l’hypothèse de l’anthropologue Priscille Touraille, selon laquelle les hommes préhistoriques auraient privé les femmes de viande pour qu’elles deviennent plus petites. Il s’agit de spéculations douteuses : chez la plupart des mammifères, le mâle est plus grand que la femelle. Mais ce que l’homme a fait par la nourriture, sa technologie peut le défaire par les hormones. Drouar préconise la prise de testostérone pour compenser la féminisation du corps. Elle s’inspire de l’exemple de l’universitaire Paul B. Preciado, né Beatriz, l’ancienne compagne de Virginie Despentes, qui raconte sa transition sous l’effet de l’hormone dans Testo junkie : sexe, drogue et biopolitique de 2008. Malgré leur rejet du monde capitaliste, ces auteurs comptent sur le complexe pharmaceutico-industriel pour régler leurs problèmes. Cet univers où l’hétérosexualité est remplacée par une sorte d’omnisexualité est le reflet parfait de notre consumérisme hypermarchand. Les élucubrations de Drouar sont relayées par la presse, par exemple dans les chroniques et tweets de la « sexperte » du Monde, Maïa Mazaurette. Les spéculations de Touraille sont présentées comme argent comptant par la journaliste Nora Bouazzouni dans son livre de 2017, Faiminisme. Quand de telles folies viennent occuper une position extrême sur le continuum idéologique, des idées plus raisonnables sont poussées vers l’autre extrême. C’est ainsi que, aujourd’hui, défendre l’hétérosexualité est catégorisé comme le propre de l’extrême droite.

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À bas les mères – et les enfants !

S’il est évident que les pères sont les grands méchants de l’histoire, la notion de maternité est également mise à mal. Pour les queers, les femmes hétéros sont des traîtres à la cause et toute valorisation par elles du rôle de mère souligne cette trahison. Les militants du genre exercent une pression sur les hôpitaux et les médecins pour remplacer le mot de « mère » par « personne avec utérus », « personne enceinte », « personne qui menstrue ». Simultanément, avec la GPA, la femme devient un utérus à louer, encore selon une logique hypermarchande. Le rôle de mère peut être scindé en trois : celle qui donne l’ovule ; celle qui porte et accouche de l’enfant ; et celle qui l’élève (si elle est différente de la première). Le vieux rêve faustien de la création d’un utérus artificiel est l’objet de projets de recherche scientifique. Une transplantation d’utérus entre deux femmes (dont une morte) a déjà eu lieu. Les chercheurs travaillent dans le sens d’une transplantation entre des personnes biologiquement féminine et masculine. Pas besoin d’un couple hétéro pour élever l’enfant : le « queer parenting » par des couples homosexuels ou transgenres devient tendance, comme l’explique Gabrielle Richard dans Faire famille autrement (2022). Les hétéros deviennent superflus, ce qui rend moins graves peut-être les difficultés qu’éprouvent les jeunes à trouver un partenaire du sexe opposé. Depuis MeToo, les hommes sont moins entreprenants, tandis qu’on organise des soirées en non-mixité pour les femmes qui ne veulent pas être importunées par les regards, commentaires et sollicitations des hommes. Le recours aux applis de rencontre en ligne augmente le stress et favorise la dépression chez les jeunes. Cette crise de l’hétérosexualité a lieu sur fond d’effondrement de la natalité dans le monde. Selon l’ONU, le taux de naissance était de cinq par femme en 1950. Il a chuté à 2,7 en 2000, à 2,3 en 2021 et tombera à 2,1 d’ici 2050. Aujourd’hui, c’est comme si l’être humain contemporain ne vivait que pour lui-même, tandis que ses ancêtres vivaient bon gré mal gré pour les générations futures.

Capture d’écran de TikTok, avec le hashtag #comphet. Le terme renvoie à l’expression de compulsory heterosexuality (« heterosexualité obligatoire »), forgée par la poétesse Adrienne Rich.

Bad sex

La lutte contre la contrainte à l’hétérosexualité oblige à recruter de nouvelles personnes queers dès le plus jeune âge. À l’école, les élèves sont invités à questionner leur genre et on envoie des drag-queens dans les maternelles pour les sensibiliser – ou plutôt les sexualiser. Car il est difficile de séparer les questions de genre et de sexe. Cette exposition à la sexualité s’ajoutant à la découverte de la pornographie sur internet par des jeunes de 10 ans, on assiste à un véritable saccage de l’enfance. Certains prétendent que les enfants ont leur propre sexualité, mais ce n’est pas celle des adultes que, dans le passé, ils ne découvraient que petit à petit et à leur manière. Le recrutement passe aussi par une présentation négative de l’érotisme hétérosexuel qui serait triste, ennuyeux et conflictuel. Les grandes perdantes seraient les femmes qui souffrent de l’« orgasme gap » ou fossé de l’orgasme. Différentes études donnent des chiffres variables, mais les femmes disent avoir moins d’orgasmes que les hommes. Il s’agit de la vieille querelle sur les orgasmes vaginaux et clitoridiens. La faute incomberait à la préférence des hommes pour la pénétration, qualifiée par Maïa Mazaurette de « McDo du sexe ». Martin Page, dans son Au-delà de la pénétration de 2020, la décrit comme l’acte dominateur d’hommes capitalistes, carnivores et pollueurs. À part la pratique du cunnilingus et le recours aux sextoys, ces experts ont peu à recommander. Reste que les lesbiennes auraient plus d’orgasmes que les femmes hétéros, fournissant un bon argument pour les recruteurs. Un autre point d’attaque consiste à ébranler l’image macho des hommes hétéros. Page affirme que ces derniers refusent de « se penser comme un être pénétrable ». La solution est le chevillage, mot popularisé par Mazaurette, qui consiste à se faire enculer par une femme avec un godemichet. Une BD sortie cette année, L’Homme pénétré, prétend que, en 2019, un Français hétéro sur deux aurait pratiqué le chevillage. Allant plus loin, l’universitaire américaine, Jane Ward, affirme dans son ouvrage de 2015, Not Gay: Sex between Straight White Men, que l’homosexualité est constitutive de l’hétérosexualité masculine. Cette année, Léane Alestra a tenté la même démonstration avec moins de brio dans Les hommes hétéros le sont-ils vraiment ?

Une autre stratégie consiste à exprimer de la pitié pour les hétéros. C’est le programme de Jane Ward dans The Tragedy of Heterosexuality de 2020 où elle exhibe une compassion condescendante, non seulement pour les femmes hétéros en manque de satisfaction, méprisées par leurs partenaires, mais aussi pour ces derniers qui n’arrivent pas à aimer leurs femmes comme il faudrait. Le salut des hétéros consiste à admettre leur défaite devant le monde merveilleux des queers. Pourtant, le résultat de tous ces discours obsessionnels sera la mort, non de l’hétérosexualité, mais de la sexualité tout court. Cette dernière a besoin d’une part de mystère, de spontanéité et d’imprévisibilité qui est en train de disparaître. Comme l’avait prévu Jean Baudrillard en 1977, nous sommes floués par une « simulation du sexe » qui compense l’absence grandissante d’une vraie sexualité.

Été 2023 – Causeur #114

Article extrait du Magazine Causeur




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est directeur adjoint de la rédaction de Causeur.

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