Refus d’obtempérer. Pleurant la disparition tragique de son époux, gendarme, fauché en service par un multirécidiviste, Harmonie Comyn a estimé que le laxisme de nos responsables politiques actuels et passés était responsable de la mort de son mari.
Posée, calme, déterminée, digne, elle prend la parole. En peu de mots, tout est dit. Sous le soleil de Mandelieu (06), celle qui vient de perdre son mari, le gendarme Comyn, tué – assassiné – par un criminel de la route, un de ces multirécidivistes de la délinquance toutes catégories comme notre pays en compte tant et tant, dresse le plus parfait, le plus sobre, le plus net, le plus sévère des réquisitoires. « La France a tué mon mari », lâche-t-elle. Elle prend soin de répéter, détachant chaque mot, afin de bien marquer que ce qu’elle profère-là est réfléchi, pleinement assumé. Elle ne vitupère point, elle constate. Constat d’une lucidité certes glaçante, mais exemplaire. « Par son insuffisance, son laxisme, son excès de tolérance, la France a tué mon mari. » Les mots sont durs, les mots sont forts, les mots sont dérangeants. Tout simplement parce qu’ils sont vrais.
Colère et malaise
Il se trouve que je suivais la cérémonie d’hommage de Mandelieu sur la chaîne BFMTV. J’ai pu alors mesurer la profondeur du malaise que ces paroles-là, cinglantes, tranchantes si calmement prononcées, provoquaient chez les effarouchés du réel, les aseptiseurs patentés du système. Le premier mot de commentaire qui leur vint à la bouche est « colère ».
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Colère, qu’ils répétaient à l’envi, se passant la parole, y revenant sans cesse. Pourquoi ce mot-là, avec une telle insistance, et non un autre ? Pour une raison évidente, assez basse mais évidente. Il ne fallait pas que la dureté du propos pût apparaître comme raisonnée, réfléchie. Il fallait qu’on fût amené à l’imputer à une bouffée d’irrationnel, une surcharge émotionnelle, une exaltation incontrôlée due à la violence du chagrin. Il fallait instiller dans l’esprit du téléspectateur que, de ce fait, les mots outrepassaient la pensée de la locutrice. Et que, très probablement, une fois qu’elle aurait retrouvé ses esprits, dominé sa souffrance, ce ne seraient pas de telles paroles, si incisives, si accusatrices qui lui viendraient, ce ne serait pas ce terrible réquisitoire-couperet. Voilà ce que le recours appuyé, lourd, très lourd, au mot « colère » était censé nous donner à croire.
TF1, partageons des ondes positives
Or, rien de cela chez cette femme, cette veuve courage. Brisée de douleur sans doute, mais debout. Debout ! Ce n’est pas la colère qui domine la pensée qui s’exprimait par sa bouche, mais la colère maîtrisée. La colère de la raison blessée, héroïque et magnifique d’une Antigone qui – au-delà du souffrir – ose défier Créon, le roi, le pouvoir.
D’ailleurs, il faudra qu’on nous dise comment ces mots terribles : « La France a tué mon mari » ont été reçus à l’Élysée, place Beauvau, place Vendôme ! Dans son journal de 13 h, TF1 a tranché. On a censuré, carrément. On n’a gardé que le moment où Harmonie Comyn déplore le fait que le multirécidiviste assassin ait pu se trouver encore en circulation sur le territoire national. Il paraît que dans le jargon des métiers de la télévision cela s’appelle « le service minimum ».
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