Le prédécesseur de Michel Barnier avait défrayé la chronique en mettant en place des cours d’empathie à l’Education nationale. Il vient de fonder l’association « Faire face au harcèlement ».
7 novembre : Journée officielle de la lutte contre le harcèlement scolaire. Sujet on ne peut plus grave, avec son cortège de souffrances et de morts, d’autant qu’un million de jeunes sont touchés par le phénomène en France. Autrement dit, un jeune sur 10. En France, le harcèlement scolaire est responsable de deux enfants morts par mois en France. N’allons pas croire pour autant que l’école ait été jadis un sanctuaire : la méchanceté des enfants n’a pas attendu le XXIème siècle pour sévir au cœur des établissements. Pour autant, on ne peut qu’être révolté par le fait que notre Education nationale, trop souvent, « laisse faire », en présence du harcèlement comme de la phobie scolaire, de la radicalisation islamiste ou des comportements d’autodestruction en tous genres…
Un sujet qui dérange
Quelle réponse au drame du harcèlement scolaire notre Etat protecteur apporte-t-il ? La mise en place d’une journée nationale de lutte contre ce fléau, aux côtés de dizaines d’autres thématiques : sécurité routière, toxicomanies, mathématiques… A chaque fois, c’est le même cycle de l’émotion sur commande, des promesses solennelles puis de l’insupportable abandon … Les adultes sous-estiment la violence du harcèlement scolaire aujourd’hui en France. Et cette minoration du phénomène n’épargne pas nos responsables politiques. On notera que le harcèlement scolaire n’a jamais été érigé par un Premier ministre en grande cause nationale. L’association HUGO ! pointe du doigt le laxisme face à un fléau de société qui tue, et invite à une mobilisation transcendant les clivages politiques.
Comment prétendre que notre école publique fait vivre les idéaux républicains de tolérance et de fraternité lorsqu’elle devient un lieu de persécution ? Pourquoi de plus en plus de garçons et de filles se muent-ils en tortionnaires de leurs congénères ?
Le sujet dérange. On a les plus grandes peines du monde à trouver des chiffres récents et précis sur les suicides de mineurs et leur contexte, alors que la remontée systématique des informations sur la mort par suicide est pourtant instituée depuis 2018.
Non seulement l’école est le cadre privilégié du harcèlement (qui se poursuit et s’amplifie généralement sur les réseaux sociaux) mais, en plus, elle ne brille pas par sa capacité de réaction dès lors qu’un cas de harcèlement lui est signalé. Dans la majorité des cas, c’est la victime qui est culpabilisée et conduite par son entourage comme par l’institution à se poser en première responsable de sa persécution. Ce qui la conduit à se replier sur elle-même, et à ne plus demander d’aide, jusqu’à se laisser écraser par ses persécuteurs. Combien d’élèves harcelés accèdent-ils en temps et en heure à un accompagnement thérapeutique adapté ? Il s’agit d’une proportion d’enfants marginale, tant les dispositifs sont coûteux et inaccessibles à la plupart des familles.
Quant aux cours d’empathie, on peut douter de leur utilité. Ils font partie d’un environnement culturel nordique pétri de respect de l’autre, quand cette valeur est franchement inexistante en France. Cette panne du cœur glace le sang. Souvenons-nous de la manière dont Lindsay, qui s’est suicidée à 13 ans en mai 2023, a été moquée sur les réseaux sociaux au-delà même de sa mort : « T’as bien fait de te suicider », « Lindsay enfin morte ! », avec des vidéos de l’enfant défunte…
Que faire, pour ne plus « laisser faire » et « faire face » ?
Dans le cas de Lindsay, le harcèlement avait été dénoncé clairement et à plusieurs reprises à l’établissement scolaire comme aux autorités. Des menaces de mort étaient proférées contre la jeune fille qui a fini par mettre fin à ses jours. Et ce n’est pas l’activation par le directeur du collège, du protocole prévu pour les situations de harcèlement qui a apporté la solution.
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Face à la barbarie des cœurs, aucune réponse technocratique ne peut suffire. Et l’on est frappé du silence de l’administration une fois que le suicide est commis. Du directeur d’école au ministre, on ne les entend parler que pour s’exempter de toute responsabilité. Il faut que des personnes de chair et d’os s’engagent personnellement et se mouillent. Un harceleur avait été exclu… mais quatre ont ensuite été mis en examen dans le cas de Lindsay. Quel chef d’établissement osera exclure quatre élèves dans notre système actuel, où il ou elle est jugé avant tout sur sa capacité à endiguer les vagues dans les limites de l’établissement ?
Le proviseur a-t-il démissionné ? Et le directeur académique ? Le recteur ? Le ministre ?
On se souvient de la camarade de promotion d’Emmanuel Macron, la rectrice de Versailles, Charline Avenel, dont les services avaient adressé une lettre de réprimande aux parents de Nicolas, garçon harcelé de 15 ans qui a fini par commettre l’irréparable. Cette dernière avait en effet refusé d’endosser la responsabilité des actes de ses services, et s’était même indignée d’avoir fait l’objet d’une procédure disciplinaire à l’initiative du ministre Gabriel Attal.
Consacrer un jour officiel au harcèlement, l’Etat sait le faire. Mais assumer ses responsabilités, prévenir, accompagner et, quand le drame advient malgré tout, essayer de réparer ? L’Etat ne le fait pas aujourd’hui. Tous les proches des victimes de harcèlement scolaire décrivent le lâchage de l’institution, avant, pendant, après.
Ces harcèlements scolaires parasitent le narratif officiel d’une école rrépublicaine accueillant tout le monde sans discrimination. Nul n’est besoin d’être handicapé, de religion ou de mœurs minoritaires, pas habillé à la mode, gros ou petit, pour se faire harceler en 2024. Cela peut être votre fille, votre fils, sans motif. Et gare à ceux qui sont doux et gentils ou qui sont forts en thème, trop bien peignés ou trop intégrés. Ce sont les victimes toutes trouvées de la nouvelle génération de harceleurs.
Il est urgent de nous investir pleinement dans la compréhension et la lutte contre le harcèlement scolaire. Compréhension qui implique de tenir compte du fait que certains auteurs de harcèlement sont d’anciennes victimes de ce même fléau, l’opprimé d’hier se transformant comme souvent en l’oppresseur de demain. La création officialisée hier par Gabriel Attal de la Fondation « Faire face » pour lutter contre ce fléau aux côtés d’Elian Patier, président de l’association Urgence harcèlement, est encourageante. A suivre.
Face à ce drame d’une Education nationale qui est le cadre impuissant du harcèlement, des lieux de refuge existent cependant hic et nunc, parmi lesquels les écoles privées et indépendantes. Qu’on les aime ou non, il se trouve qu’elles accueillent un nombre toujours plus important d’enfants qui cherchent à échapper au harcèlement scolaire qu’ils ont subi au sein de l’Education nationale, voire dans l’enseignement privé sous contrat. C’est en particulier vrai depuis la crise du Covid. Ces écoles sont loin d’avoir réponse à tout et, parfois, les phénomènes de harcèlement tendent à se reproduire en leur sein, mais elles présentent des avantages incontestables : elles sont à taille humaine et les responsabilités y sont bien identifiées. Les petits locaux permettent une meilleure observation des comportements, donc une meilleure détection de la détresse. De plus, nombre d’écoles indépendantes cherchent à développer les capacités humaines des enfants et futurs adultes que sont leurs élèves, au moins autant que leurs compétences académiques et, sans doute plus que dans l’Education Nationale. C’est en particulier le cas dans des écoles plutôt libertaires alternatives, qui donnent une place essentielle au règlement des conflits entre enfants et à l’apprentissage voire à la co-construction des règles de vie en société. Les écoles démocratiques représentent la pointe avancée de cette tendance. A l’autre bout du spectre se trouvent les écoles catholiques ou très classiques, façon hussards noirs de la République, qui mettent le respect de l’autre, la politesse et la déconnection numérique au cœur de leurs pratiques pédagogiques. Il est indubitable que moins les élèves donnent d’importance à leur téléphone dans leur vie, moins ils sont exposés au harcèlement numérique et au regard des autres en général et plus ils échappent aux comportements de meute.
Dans l’attente que des solutions efficaces au harcèlement se répandent, l’urgence est sans doute d’informer les parents d’enfants harcelés du droit qu’ils ont de les exfiltrer vers des écoles libres et indépendantes. C’est évidemment choquant que l’Education nationale soit impuissante à protéger ses élèves et que ce soit les victimes qui doivent céder la place aux bourreaux, mais c’est toujours mieux que de rester dans une école jusqu’à en perdre le goût d’étudier et de vivre. Si les écoles publiques se décidaient à adopter des tailles moins inhumaines, une gestion moins technocratique, un suivi plus personnalisé des élèves, à encourager la responsabilisation de ses personnels et des enseignants plus face à ce qui n’est pas strictement académique, des programmes exaltant le vrai, le bien et le beau plutôt que de les faire passer pour des niaiseries désuètes, alors sans doute n’aurions-nous pas besoin aujourd’hui des écoles indépendantes pour protéger les enfants harcelés. Mais ce n’est pas encore le cas. Alors, pour une fois, laissons de côté les réticences idéologiques. Lorsque la maison brûle, on ne demande pas la nationalité du pompier. Peu importe le caractère public ou privé de l’école, ce qui importe est de sauver les enfants. Trop de parents n’imaginent même pas confier leur enfant à une école libre, même lorsque leur enfant est en danger manifeste. Faisons-leur savoir que c’est possible et tout à fait légitime ; mettons en place des bourses pour lever les barrières financières et des accompagnants pour faciliter leur intégration. Voilà une mesure d’urgence que la toute nouvelle fondation de Gabriel Attal pourrait déjà mettre en œuvre.
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