On parle souvent de harcèlement à l’école. Curieusement on ne dit rien du phénomène suivant qui est pourtant très bien documenté et inquiétant et dont les professeurs ont souvent fait état dans l’indifférence générale : dans beaucoup de collèges et de lycées, ce sont les bons élèves, les « intellos » qui font l’objet de harcèlement.
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Sur ce sujet, silence des défenseurs des droits des enfants et de ceux qui militent à juste titre contre les horribles discriminations. La discrimination dont font l’objet les bons élèves, ceux qui travaillent, écoutent le professeurs, la discrimination, parfois des élèves « intelligents » ou doués, la discrimination des élèves précoces, des élèves qui lisent : personne n’en parle, ou si peu !
La stigmatisation des « intellos »
Il est évoqué en long et en large le rejet de la différence physique, les facteurs ethniques, territoriaux, religieux, sociaux qui peuvent expliquer une forme de rejet ou d’intolérance et on ne parle guère de ce rejet, pourtant hautement inquiétant au sein d’une institution qui serait censée promouvoir les qualités intellectuelles : le rejet et la discrimination des élèves différents parce qu’ils aiment lire ou parce qu’ils veulent travailler, parfois parce qu’ils sont doués pour les études, bref parce qu’ils sont des « intellos ».
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Ce terme essentialisant (comme dirait notre ami moustachu de Mediapart qui l’adore) et réducteur (de têtes bien faites) utilisé par les élèves mais qu’un pédagogiste obtus ne renierait pas, est là, bel et bien pour stigmatiser, souvent violemment, une catégorie particulière et quand même très bien représentée, d’élèves pas tout à fait acquis à la violence (qui parfois prévaut dans les établissements scolaires) et mal intégrés au caïdat local que font régner une poignée de meneurs. Je pense notamment aux lycées professionnels où l’on a pu voir des élèves pétitionner pour… pouvoir simplement étudier dans le calme: leur seul tort est de vouloir travailler, d’avoir parfois la tête dans les nuages de la culture, de l’histoire, des mathématiques, d’être de doux rêveurs dans un monde de rapports de force et de compétences strictement utilitaires.
J’ajouterai que ces élèves, nombreux, viennent de tous les milieux sociaux. Tous ! Ils peuvent être fils de femme de ménage, enfants d’ouvriers immigrés, jeune fille musulmane souhaitant s’émanciper par le travail d’un milieu qui n’encourage guère les femmes à faire des études, fils d’instituteurs, de cadres : tout le monde peut faire l’objet de ce bannissement abject.
Mais curieusement ce « racisme » là ne trouve guère d’écho. Personne n’en fait la phénoménologie naïve, en s’étonnant, en mesurant, en circonscrivant, puis enfin en s’indignant qu’une telle chose ait pu surgir au sein de… l’école de la République: le sanctuaire du savoir ??
Pas sociologiquement correcte ? pas redevable d’une explication marxiste en terme de lutte des classes ? Non inscriptible dans la lutte « anti-raciste » ? Non rabattable dans les plis de la « pensée politique » préformée ? Ne s’inscrivant pas suffisamment dans l’opposition dominants vs dominés ? Stigmatisant (ce serait un comble, mais je m’attends toujours au pire avec notre « intelligentsia » !) les caïds des collèges, ratonneurs d’intellos, peut-être, mais qui sont eux-mêmes des « victimes du système » venant de couches défavorisées??
Étonnant silence. Indécent oubli ! Criminelle abstention. Le harcèlement, les études le montrent, concernent très souvent de bons élèves parfois de brillants élèves et qui viennent assez souvent de milieux défavorisés. Ces élèves ni leurs parents n’ont les moyens, matériels et moraux, de se défendre ou de soustraire leur fils ou leur fille à ce qui peut parfois devenir un enfer. Cela est-il acceptable ?
Boucs émissaires faciles
Une anecdote qui en dit long pour terminer: dans un bon collège avec des enfants de cadres supérieurs, un élève me cite lors d’un débat une émission qu’il a vu sur Arte parlant d’égyptologie. Les moqueries de ses camarades fusent : « Arte !?! tu regardes ça! Trop mort de rire ! Le bouffon ! »
Inutile de préciser que j’ai vertement mouché les aboyeurs. Formé à l’école de Meirieu, j’aurais sans doute remis vertement en place… mon intello : « Mounir ce n’est pas bien d’essayer d’intimider tes camarades et de te placer en position de supériorité ! Est-ce que tu arrives à comprendre pourquoi c’est une forme de violence ?? Te crois-tu supérieur parce que tu regardes Arte ? Fais ton auto-critique devant la classe ! » Je n’exagère nullement. Ce sujet ne prête pas à rire.
Les profils du bouc-émissaire sur qui la violence collective se déchaîne parfois (les meneurs entraînant les autres) sont multiples mais catégorisables. Bien entendu il y a des élèves médiocres aussi dont le seul tort est d’être en surpoids, d’avoir la mauvaise couleur de peau, de religion, les mauvais vêtements le mauvais accent ou d’être… une fille gentille. Mais il y a aussi beaucoup d’élèves rejetés parce qu’ils montrent des aptitudes intellectuelles, un goût pour l’étude, le travail, que certains cadors jugent « un truc de pédale » (expression entendue!).
Anxiété, dépression, décrochage scolaire et pour finir..échec scolaire, finissent par être leur lot et ce, dès le collège, si la discrimination et les intimidations ont commencé à l’école primaire.
Cumulant les « handicaps » de plusieurs profils de bouc émissaire, on n’ose pas imaginer ce qu’il advient, parfois, dans l’école d’aujourd’hui, dans certains « endroits » oubliés par la République, des filles intellos, lectrices, soucieuses de bien faire, timides, anxieuses mais aussi en surpoids, n’ayant pas le bon profil ethnique ou religieux et n’ayant, pour faire valoir auprès de l’établissement et de l’institution scolaire, leur droit à la paix, la sécurité, parfois simplement leur droit à l’existence, qu’une mère agent d’entretien qui parle mal le français…
Une réforme qui annonce le pire
Avec la réforme actuelle et l’aspiration par le bas, la fin de l’ambition, on peut prévoir un avenir sombre à ces petits élèves qui ont faim de savoir et ne se résignent pas à chercher des « nourritures » dans les dialogues de la télé-réalité. L’institution ne parvient pas même à leur faire retrouver le sourire en leur infligeant des Enseignements pratiques interdiciplinaires (EPI) sur le régime de Madame Bovary ou la mort de Claude François : c’est dire si le mal est profond.
Les petits grammairiens, les petits latinistes, les petits collectionneurs de noms de dinosaures, les petits joueurs d’échecs : potentiellement presque tout le monde, si l’on ne s’employait pas à écrêter les aspirations à l’élévation…les départs de lumière.
Peut-être pourrait-on concevoir une école qui protège toutes les intelligences et tous les talents du massacre ? Après tout dans l’expression « lieu de vie » chère aux réformateurs il y a tout de même le mot « vie » qui peut ménager une petite place à la vie de l’esprit ?
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