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Hanoukah Pride, non merci !


Hanoukah Pride, non merci !

Après ça, allez vous bagarrer contre l’antisémitisme. Les loubavitchs qui ont décidé d’organiser un allumage géant de ménorah géante à quatre jours de Noël et à deux jets de pierre de l’Etoile adressent un message clair à leurs concitoyens : « On vous emmerde ! La rue est à nous. »

Donc, comme me l’apprend un courrier de Jacques Tarnero assorti d’un commentaire consterné (« les juifs deviennent fous ! »), les loubavitchs convient tous les juifs à allumer la première bougie de Hanoukah. Enfin, on suppose que cela s’adresse aux juifs puisque les participants sont invités à remercier hachem (le petit nom que l’on donne à Dieu dans les circonstancesofficieuses) pour ses miracles. Dommage qu’Elton John soit goy et gay sinon il aurait sans doute été invité à chanter Candle in the wind, comme à l’enterrement de Lady Di.

Passons sur l’esthétique criarde de l’affiche sur laquelle les bougies surplombent l’Arc de Triomphe. Mieux vaut s’interroger sur le sens de cette manifestation religieuse ostentatoire sur la voie publique.

Quelques éclaircissements s’imposent pour ceux qui se seraient arrêtés au cours élémentaires en questions juives. Des loubavitchs, vous en avez tous croisés, avec leurs inimitables vêtements, leurs papillotes et leurs nombreuses familles. Ils sont l’un des nombreux courants hassidiques issus de ces vastes terres juives que l’histoire a ballotées entre la Pologne, l’Ukraine, la Russie, la Roumanie et sous bien d’autres drapeaux encore. Mais c’est aux Etats-Unis, à la fin des années 1940, sous l’impulsion d’un dirigeant particulièrement charismatique et révéré jusqu’à sa mort il y a quelques années avec une ferveur que l’on pouvait juger déplacée dans une religion fondée sur le rejet de l’idolâtrie, que le mouvement loubavitch est devenu une multinationale du prosélytisme à usage interne. Plus américains qu’européens (tout en recrutant surtout parmi les séfarades), les « loubas » se sont faits une spécialité de ramener à la Torah les brebis juives égarées. Pour tout dire, ils font un peu penser aux témoins de Jéhovah. Ils veulent votre bien.

Alors, on dit souvent que les juifs orthodoxes n’emmerdent personne, n’attaquent pas de moquées et ne brûlent pas de voitures. Ce n’est pas de leurs rangs que sortent les Baruch Goldstein, même si, dans les affrontements du XIXème arrondissement, il faut être naïf pour penser qu’il n’y a que de gentils petits juifs attaqués sur le chemin de la synagogue par de méchants Maghrébins ou Africains. Il est cependant vrai que, dans l’ensemble, les loubavitchs sont plutôt pacifiques et souvent sympathiques. Beaucoup affichent pour les biens matériels un enviable dédain. Mais ils pratiquent un entre-soi qui les conduit à limiter au maximum les contacts avec le reste de la société. La certitude a un prix.

La grande affaire des loubavitchs, ce sont donc les born again. L’allumage public de la ménorah, le chandelier à sept branches qui en a neuf[1. La ménorah du Temple avait sept branches, celle de Hanoukah en a neuf, mais c’est pas un cours de religion, ici.], fait partie de cette entreprise de « conversion ». Quant à Hanoukah, c’est l’une des rares dates du calendrier juif qui célèbre une victoire, celle de la révolte des Machabéens qui reprirent le Temple de Jérusalem aux cultes païens qui s’y étaient installés – et aussi celle de la foi sur l’incrédulité, puisque selon la tradition, l’huile nécessaire à l’éclairage du Temple, prévue pour durer une journée dura huit jours. Cette fête a aussi la particularité d’avoir été transformée en substitut de Noël, notamment sous l’influence des loubavitchs, pour éviter que les juifs ne se mettent à célébrer en masse la naissance du Christ.

Donc, aujourd’hui, c’est Hanoukah pour tous. C’est peut-être cela que le président de la République appelle « laïcité positive » : l’exhibition des identités, l’occupation de l’espace public par les rituels religieux, la fierté d’être soi plutôt que le souci d’être soi. D’autres parleront de communautarisme, terme que Laurent Lévy, père des petites musulmanes voilées Alma et Lila dont l’une trouvait que son nom était bien utile quand elle se rendait à la banque, avait assez finement démonté : le communautarisme, c’est toujours celui des autres.

Pour ma part, je dirais que cette Hanoukah Pride traduit un sacré sans-gêne. En Israël, on parle de chutzpah (culot) et cet aimable trait de caractère qui explique que le type devant vous puisse vous envoyer la porte à la figure fait partie de l’ADN national – il en fallait, du culot pour transformer des gringalets sortis de la yeshiva (école religieuse) en travailleurs de la terre. En France, ce sans-gêne est tout simplement contraire à la loi non écrite de la République qui prescrit un certain tact, une forme de pudeur, à l’égard de ses concitoyens issus d’autres cultures comme on dit pudiquement. Ce tact aurait pu dissuader les organisateurs du happening des Champs-Elysées d’allumer une bougie géante à quelques encablures de la tombe du soldat inconnu. La première pudeur, ce n’est pas de cacher ses avant-bras, c’est de ne pas jeter son identité à la tête de tous.

On peut être juif en France (ou se réclamer de toute autre appartenance) sans se cacher ni s’afficher. On me dira que les catholiques s’affichent bien, avec les papes célébrés en pop-stars. Sans doute, mais qu’on le veuille ou pas, édulcoré ou pas, le catholicisme est l’appartenance dominante des Français et notre héritage à tous. Cela ne me paraît en rien choquant qu’un sapin de Noël trône dans la cour de l’Elysée. Affirmer que les musulmans ou les juifs sont aussi français que les « de souche » ne signifie nullement qu’ils occupent la même place dans l’histoire nationale, ni qu’ils doivent avoir la même visibilité. À moins évidemment qu’on essaie de démocratiser l’histoire afin que chacun en ait une part égale ?

Pour corser le tout, on annonce la présence de Son Excellence l’ambassadeur d’Israël en France à cette célébration. C’est même lui qui procèdera à l’allumage de la bougie. « Tous sur les Champs-Elysées avec Dany Shek ! » Ah bon, c’est le roi des juifs, l’ambassadeur d’Israël en France ? De quels juifs, alors ? Des loubavitchs ravis d’avoir recréé de New York à Bombay, de Jérusalem à Paris, le ghetto de leurs ancêtres ? De Marc Cohen qui appelle ses sœurs cairotes à envahir les rues en string ? De votre servante qui ne discute pas son appartenance mais en négocie pied à pied les modalités ? De mon père, juif de l’étude, de la prière et de la République ? D’Elie Barnavi, quintessence du juif laïque, qui a pleuré en juin 1967, en arrivant devant le Mur des Lamentations ? D’Arthur et Elie Sémoun ? Or, dès lors que tous sont englobés par le même signifiant, «le mot « juif »» comme le dit Alain Badiou[2. Alain Badiou, Circonstances III, Portées du mot « juif », Léo Scheer, 2005.], tous sont en quelque sorte requis par des événements sur lesquels ils ne peuvent rien – c’est la rançon de l’appartenance. « Pas en mon nom », s’étaient énervés il y a quelques années Rony Brauman et d’autres à propos de la politique israélienne. Eh bien, je ne veux pas qu’on allume des bougies géantes en mon nom, je ne veux pas qu’en mon nom on transforme un rituel transmis depuis des générations en attraction foraine. Ni en mon nom, ni en aucun autre d’ailleurs : je penserais exactement la même chose si on organisait pour l’Aïd un grand méchoui place de la Concorde ou une « tenue blanche ouverte » sur l’esplanade des Invalides.

En vérité, cela fait belle lurette que la République n’exige plus que l’on soit « juif (ou musulman ou ce que vous voulez) à l’intérieur et français à l’extérieur ». L’explosion des revendications religieuses adressées à l’école, à l’hôpital et à la société en général a déjà imposé une redéfinition des frontières entre public et privé et une renégociation implicite du contrat social dans laquelle chaque groupe, communauté tente d’accroitre sa surface sociale sans plus se soucier de la maison commune. On ne fera pas rentrer cette mayonnaise identitaire dans le tube. Mais s’il s’agit de redéfinir les limites entre le public et le privé, le religieux et le politique, qu’on me permette de faire appel à la sagesse juive. Selon celle-ci, les lumières de Hanoukah doivent être placées à la fenêtre afin d’être visibles de l’extérieur. Alors oui, pourquoi pas, que chacun accroche ses lumières à sa fenêtre – comme je le ferai moi-même – et laisse à ses concitoyens la liberté de les admirer ou de les ignorer. C’est ce qu’on appelle vivre ensemble au pays des Lumières.



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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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