Partie à la rencontre de ses anciens élèves musulmans, Anne-Sophie Nogaret constate qu’une majorité d’entre eux ne vit pas à l’heure républicaine. Leur contre-société régie par les lois de l’islam discrimine les femmes et exclut les non-musulmans. Reportage dans nos territoires perdus.
L’étude d’Olivier Galland, parue dans le dernier numéro de la revue Le Débat, donne une confirmation statistique à ce que nous sommes nombreux à constater : dans notre pays et en Europe vit une société parallèle, contre-société engendrée par l’islam politique. Qu’en disent les jeunes Français ?
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D’anciennes élèves que j’interroge à ce sujet s’exclament : « Évidemment qu’il y a une séparation entre les musulmans et les autres ! » Et de me raconter les élèves qui devant le lycée se regroupent en fonction de leur appartenance religieuse, les femmes voilées dans le bus qui tressaillent lorsqu’on s’assoit à côté d’elles, leur évitement de tout contact visuel, leur malaise et leur surprise lorsqu’on leur adresse la parole. Autant d’attitudes, selon elles, s’expliquant par la peur. Ça colle : la séparation, la recherche de l’entre-soi s’expliquent aussi par le sentiment de persécution qu’éprouvent, contre la réalité, nombre de musulmans. Culturellement présent chez les populations issues de l’immigration (le mauvais œil du monde arabo-berbère), exploité par le discours islamiste, conforté par la bien-pensance victimaire, ce sentiment devant lequel chacun s’incline est le meilleur agent du séparatisme et de l’entre-soi.
Islam Facebook
Le métier de professeur m’a permis de confirmer ce phénomène : les élèves musulmans que j’ai croisés ces dernières années affichent une méfiance de principe en cours de philosophie, voire pour quelques-uns une sourde hostilité. Pas tous, certes, mais une majorité. Les dissertations à la gloire de Tariq Ramadan (ce grand intellectuel victime de racisme), les devoirs vantant la beauté de l’islam, les « démonstrations » fondées sur des opinions religieuses ne sont plus des raretés. Elles font partie du paysage. Les visages fermés, les grimaces, dès qu’on aborde la question sexuelle, religieuse ou scientifique. Une jeune fille d’origine algérienne, brillante et croyante, corrobore la chose : « Je n’en peux plus de “l’islam Facebook” ! Parce qu’ils n’ont aucune connaissance de l’islam, ils sont tous persuadés qu’avec la philo, on veut leur laver le cerveau. »
Tribalisme
C’est un cliché, mais c’est vrai : la culture africaine ne connaît pas l’individu. Le groupe seul existe, qui structure l’identité de chacun. Il est alors cohérent que la philosophie, qui apprend « à penser par soi-même », soit vécue comme une menace. Mounir, un de mes anciens élèves, évoque la loi du groupe, indissociable de la pression religieuse et de la vie des « quartiers » : « Dans mon collège, c’était l’enfer pour ceux qui ne faisaient pas le ramadan. Tout se passait loin du regard des profs, qui ne voyaient rien, du coup. En réalité, on était poursuivis, tabassés par les gamins qui nous faisaient la misère avec la religion… Dans les cités, il y a un contrôle énorme. » Et les fortes têtes ? « Bien sûr, il y en a qui résistent, mais ils doivent à un moment ou à un autre quitter le quartier. Ça fait plusieurs années que je ne fais pas ramadan, et je me fous complètement de croiser des Arabes un sandwich à la main. Par contre, j’évite de le faire là où vivent mes parents : je ne veux pas qu’ils aient de problèmes avec les voisins. »
Territoire hallal
Les fortes têtes affichant leur a-religiosité désertant les quartiers, y restent ceux qui acceptent la loi du groupe, quoi qu’ils en pensent par ailleurs. Pratiquant le covoiturage, je me suis retrouvée il y a quelques semaines à la fois la seule femme et la seule non-Maghrébine. Sur les sièges arrière, deux jeunes gens se présentent l’un à l’autre : « Tu es quoi, toi ? – Moi, algérien. Et toi ? – Marocain. » J’y suis hélas habituée : mes élèves se présentent de la même façon, se définissant par le pays de leurs parents (voire de leurs grands-parents) et non par celui dont ils ont la nationalité, où ils sont nés et où ils vivent. La suite du dialogue m’a néanmoins stupéfiée : « J’habite à Montpellier. – C’est hallal, Montpellier ? – Tranquille mon frère, c’est hallal. Et toi ? – À Rouen. – C’est hallal, là-bas ? – Wesh, tranquille, hallal. » Ainsi, ces jeunes gens, qui s’étaient parfaitement compris, usaient-ils du mot hallal pour désigner un territoire. Une ville ou un quartier hallal, autrement dit un lieu pur, permis, licite. Une pureté ne pouvant résulter que de la population y vivant, population elle-même hallal. Autrement dit musulmane pratiquant l’orthopraxie visible : voilement, présence féminine absente de certains lieux et passée la nuit tombée, ramadan pratiqué ostensiblement, etc.
« Dans mon collège, c’était l’enfer pour ceux qui ne faisaient pas le ramadan. »
Plus tard, le conducteur, par ailleurs avenant et disert, commit une petite blague sur « une Française qui croit que l’homme descend du singe et qui donc elle-même descend du singe. » Ambiance. Poursuivant sur le Coran, livre de toutes les vérités scientifiques, il me dit que ses enfants avaient comme consigne de ne pas croire ce qu’on leur disait en classe. La vérité, c’est à la maison qu’ils l’apprennent. Pour autant, pas question que ses gamins se fassent repérer à l’école, poursuivit-il : même si elle racontait « n’importe quoi », il fallait toujours dire « oui, oui » à la maîtresse. Mounir, à qui je racontai la chose, me parla d’exclusion. J’objectai que ce monsieur travaillait, qu’il était financièrement à l’aise. Le problème ici n’était pas d’ordre économique. Il était d’ordre culturel. Oui, concéda-t-il, on devrait plutôt parler d’auto-exclusion. « Il y a eu l’émancipation des femmes, celle des homos. On pourrait presque dire que le prochain combat sera celui de l’émancipation des musulmans… » conclut-il en rigolant.
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Me revint alors en mémoire un autre covoiturage. Deux jeunes filles, sans adresser une parole ou un regard aux gens présents, discutaient entre elles comme si elles étaient seules. « Pourquoi nos frères nous emmerdent comme ça à être sur notre dos ? » disait l’une. « Ils le savent bien pourtant : nous, on est musulmanes ! » L’appartenance à l’islam valait donc valeur morale en soi. L’appartenance à l’islam signifiait apparemment ici de n’avoir avec les non-musulmans qu’un rapport strictement utilitaire et, il faut bien le dire, ouvertement méprisant. À l’approche de Rouen, pourtant, une d’entre elles se tourna vers moi, et dans un élan inattendu, exprima sa joie de retrouver Rouen, sa ville, qui lui avait manqué, dit-elle. Cet attachement me parut un signe disant qu’il ne fallait pas désespérer. Malgré tout.
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