Dans nos sociétés sécularisées, l’abattage rituel musulman n’en finit pas de susciter la polémique. Pro ou anti-halal, l’observateur est sommé de prendre parti en fonction de considérations idéologiques, en faisant fi de la conception islamique de l’animal.
Ainsi, beaucoup ignorent que l’islam proscrit de tuer les animaux pour le plaisir. Selon le Coran, Dieu n’a en effet permis aux hommes de faire couler le sang des animaux qu’en de rares occasions : pour se nourrir, procéder à des sacrifices rituels, ou par légitime défense. D’un point de vue religieux, l’encadrement de cette pratique ne s’appuie pas sur le souci de protéger la faune mais se justifie par le fait que les animaux sont des créatures de Dieu au même titre que les hommes. Or si Dieu a accordé au genre humain une prééminence sur les autres créatures, il n’en fait pas leur maître. D’où la nécessité de ritualiser leur mise à mort, étant entendu que le sang d’un animal ne doit pas couler sans raison mais conformément aux règles que prescrit la Loi. Ainsi le verset 3 de la sourate 5 du Coran défend-il de consommer les bêtes mortes par étouffement, à la suite de coups, après qu’elles ont chuté, se sont fait écorner par leurs congénères ou dévorer par des prédateurs. Autant de catégories assimilées à des cadavres.[access capability= »lire_inedits »]
Concrètement, la mise à mort s’établit sans étourdissement, suivant un protocole scrupuleusement exécuté par une personne ayant le droit d’abattre la bête destinée à être consommée. Le système de pensée islamique dénie le meurtre grâce à une fiction : Dieu donnerait la permission aux hommes de tuer des animaux mais uniquement selon la Loi. On admet même qu’ils souffrent ; et certains théologiens musulmans soutiennent que, pour cette raison, Dieu rétribuera les bêtes après la mort, en les ressuscitant et en les faisant vivre au Paradis.
Ayant mis le sacré au rancart, les sociétés occidentales contemporaines ont tenté de résoudre le problème de la mise à mort des animaux par d’autres expédients : l’occultation et la réglementation. Dès le xixe siècle, l’Occident a rendu invisible la mise à mort des animaux de boucherie en empêchant les populations de faire l’expérience de la mort animale au quotidien. En parallèle, à mesure que les sociétés de protection et de défense des animaux gagnaient en influence, on a essayé de mettre au point des procédés techniques permettant d’éliminer la souffrance, c’est-à-dire de tuer sans tuer.
On a cru et on croit encore que la solution est technique: si l’animal que nous tuons pour sa chair ne souffre pas, alors nous ne sommes pas coupables. Ce technicisme, qui regarde de haut les rituels traditionnels de mise à mort des animaux de boucherie, évite la grave question du meurtre. Après avoir « tué » Dieu, l’homme occidental contemporain, qui a poussé le plus loin la chosification de l’animal (par exemple dans l’industrie pharmaceutique), trouve insupportables tous les rites de mise à mort des animaux, qui lui paraissent « barbares », aussi bien la tauromachie que l’abattage musulman. À moins d’épouser la cause végétarienne, l’Occident se retrouve acculé à une impasse : pourquoi diable s’en prendre à des animaux paisibles et sans défense ?[/access]
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