Dans une récente chronique, Hakim El Karoui – qui se veut l’un des artisans de « l’islam de France », et qui fut et est sans doute encore proche du pouvoir – feint de se demander si un éventuel triomphe de Marine Le Pen aux présidentielles ne serait pas, en réalité, la vraie victoire des terroristes jihadistes. On voudrait en rire, mais…
C’est un nouveau palier franchi par la rhétorique bien connue, celle qui répète ad nauseam que le but des jihadistes serait de nous diviser et/ou de provoquer la guerre civile, pour ne surtout pas devoir dire ce qui est pourtant évident aux yeux de tout analyste sérieux, à savoir que le jihad n’est qu’un mode d’action de l’islamisme parmi d’autres, et que l’objectif de l’islamisme, c’est l’islamisation. Les islamistes non-jihadistes ayant exactement le même projet de société que ces derniers, la différence ne portant que sur les méthodes employées pour y parvenir.
Rhétorique fallacieuse
La fausse question d’Hakim El Karoui est évidemment ridicule, y compris si l’on n’aime pas – voire que l’on déteste – Marine Le Pen, son parti et ses idées. Même dans ce cas, même si l’on voit en eux une monstruosité en gestation, l’interrogation rhétorique revient à se demander si, par hasard, avoir poussé Churchill dans les bras d’une alliance avec Staline n’aurait pas été la vraie victoire du Führer, sous prétexte que stalinisme et nazisme sont deux totalitarismes. Scoop : non.
Je ne spéculerai pas sur les intentions d’Hakim El Karoui. J’ai déjà critiqué dans Causeur le rapport publié par l’Institut Montaigne en 2018 sous sa direction sur « La fabrique de l’islamisme », et malgré les qualités de celui-ci j’y avais noté un impensé majeur, puisqu’il n’analyse l’islamisme que comme une réaction de l’islam à la « modernité occidentale », symboliquement actée par la campagne d’Égypte de Napoléon.
À lire aussi, du même auteur: Islamisme: l’Institut Montaigne ouvre un œil (un seul)
En réalité, l’alliance entre Ibn Abdelwahhab (fondateur du wahhabisme) et Ibn Séoud remonte à 1745, soit avant même la naissance du père du futur Général Bonaparte ! Ibn Khaldoun écrivait au 14ème siècle de notre ère que le jihad armé conquérant est consubstantiel à l’islam. Ash Shafi’î, lui, affirmait au début du 9ème siècle que pour la majorité des savants de l’islam le jihad n’est pas seulement intérieur et spirituel, mais surtout extérieur, armé et conquérant. Et selon la tradition musulmane le prophète lui-même, au 7ème siècle, aurait imposé aux Banu Thaqif la conversion ou la mort. Tout ceci relève évidemment de ce que l’on appelle aujourd’hui l’islamisme, et à moins d’adopter une définition pour le moins étendue de la notion de « modernité occidentale » il est difficile de lui en imputer la responsabilité…
Un dangereux relativisme
Que cherche donc ici Hakim El Karoui ? Se trompe-t-il en toute bonne foi ? Veut-il seulement dédouaner à toute force l’islam de la moindre responsabilité dans l’islamisme ? Ou prépare-t-il des arguments électoraux pour appeler à organiser contre Marine Le Pen un « front républicain » dans lequel les islamo-gauchistes et donc les islamistes auraient leur place, de peur que s’organise avec Marine Le Pen un autre front républicain, cette fois contre ceux qui se compromettent avec l’islamisme ?
Je l’ignore. Je note cependant qu’il est pour le moins ironique que, écrivant regretter que le débat soit « remplacé par l’invective, la dénonciation et l’injure », il conclue en affirmant que l’extrême-droite appellerait à l’insurrection des militaires (dans une tribune qui affirme que la loi de la République doit être respectée partout, étrange appel à l’insurrection !) et que son éventuel succès électoral serait « la vraie victoire des terroristes ». En matière d’ouverture au débat démocratique, on a vu mieux.
À lire aussi, Elisabeth Lévy: Les sourds et la muette
Mais il y a plus grave, car plus dangereux, c’est le relativisme manifeste dont Hakim El Karoui fait preuve envers ceux dont la complaisance à l’égard des islamistes n’est plus à prouver. Ainsi, s’il complimente Gilles Clavreul pour sa réponse à Alain Finkielkraut, voilà qu’il semble renvoyer dos-à-dos le « PS tendance Valls » et EELV, Charlie et Médiapart, reprochant aux uns comme aux autres le déchirement de la gauche, et affirmant que ceux qui proclament l’importance de l’attachement à « une culture française idéalisée et réifiée » ont « viré définitement à droite » – on sent bien que sous sa plume « virer à droite » relève plus de la faute morale que du choix politique légitime.
Deux poids deux mesures
On remarque aussi que Hakim El Karoui évoque comme une réalité incontestable « la condition sociale dégradée de ceux qui embrassent telle ou telle religion, notamment l’islam » et le fait que dans le cas du jihadisme « les terroristes eux-mêmes sont d’origine immigrée ou plus largement du mauvais côté de la société : des pauvres, des exclus, des sans-grades. » Certes, nous savons tous que le multimillionnaire Oussama Ben Laden était pauvre, exclu et sans-grade, et que la misère bien connue des émirs du Golfe ou du premier ministre pakistanais prouve que l’islam est la religion de ceux qui ont « une condition sociale dégradée ».
Notons enfin la référence laudative à Leïla Slimani, dont Hakim El Karoui décrit les prises de paroles comme « un éloge de la nuance » et tentant « de rétablir les conditions d’un débat constructif », et rappelons simplement que cette même Leïla Slimani a notamment déclaré en février dernier : « Quel est le problème au juste avec l’islamisme au pouvoir ? Ne s’agit-il pas d’une option politique comme une autre ? » Je laisse le lecteur en tirer les conclusions qu’il voudra, sur Leïla Slimani, sur Hakim El Karoui, et sur leurs choix éthiques et politiques.
Je concluerai en citant Gabriel Martinez-Gros, historien spécialiste d’Al Andalus et de la pensée d’Ibn Khaldoun, dont le livre Fascination du djihad, fureurs islamistes et défaite de la paix compte parmi ce qui s’est écrit de plus lucide et de plus utile sur le sujet, et me semble s’appliquer parfaitement à la chronique d’Hakim El Karoui :
« Aveuglement de la gauche en particulier, qui ne veut voir que problèmes sociaux là où éclate l’évidence d’un choix politique. Le paradoxe veut que ce même consensus, et cette même gauche, s’alarment d’une extrême-droite populiste, dont le programme ne comporte pourtant aucune des condamnations radicales des fondements de l’Occident – en particulier la souveraineté du peuple, l’abolition de l’esclavage et de la polygamie, ou l’égalité des sexes – que les djihadistes proclament très ouvertement. »
Fascination du djihad: Fureurs islamistes et défaite de la paix
Price: 12,00 €
24 used & new available from 7,86 €
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !