Depuis quelques années, la Guyane française est devenue la piste de décollage de la cocaïne vers l’Hexagone. Chaque jour, une centaine de mules font le trajet Cayenne-Orly, transportant parfois plusieurs kilos de cocaïne sur elles, et le phénomène semble impossible à enrayer.
Un kilo, deux kilos, trois kilos, quatre kilos : non, il ne s’agit pas de pommes que l’on achète au marché, mais de saisies de cocaïne en partance de Guyane française. À chaque jour ses arrestations, et ses non-arrestations: quotidiennement, jusqu’à plusieurs centaines de kilos de cocaïne passent sur ces vols entre le département sud-américain et la métropole. Pourtant, bien que les autorités françaises estiment l’ampleur du trafic à 20 % de la consommation française, qui a été multipliée par cinq en vingt ans, impossible de mettre un terme à cette gangrène. Pour comprendre pourquoi, il faut voyager un peu, sur les routes de la coke française.
Narcos: France
Si l’époque de Pablo Escobar et d’El Chapo, ces deux célèbres barons de la drogue, respectivement colombien et mexicain, est bien révolue, le trafic de cocaïne continue. L’ancienne Nouvelle-Grenade ne semble pas prête à mettre fin à ses antiques traditions : elle est toujours, et de loin, le premier producteur et exportateur au monde de cocaïne – plus de 200 000 hectares de terre y sont cultivés à cet effet. Concrètement, cela représente vingt fois la surface de Paris, et environ 1 400 tonnes expédiées vers les États-Unis (premier consommateur) et l’Europe.
Pourtant, en Colombie, la lutte contre le trafic existe, et porte ses fruits : le 9 mai dernier, le plus grand narco-sous-marin jamais enregistré a été intercepté par la marine colombienne avec à son bord environ trois tonnes de stupéfiants, soit plus de 100 millions de dollars. Cependant, alors que les cartels sont armés, et puissants, il est impossible de les démanteler.
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Mais revenons-en un peu à la Guyane. Pour y parvenir, les cartels ont mis en place un système bien rodé : de petits avions transportent la marchandise à travers la jungle afin d’atteindre le Suriname, voisin du département français. Pour cela, les trafiquants sont allés jusqu’à défricher des hectares entiers de forêt afin d’y construire des pistes d’atterrissage où leurs pilotes peuvent faire le plein en toute discrétion. Autrefois, ces avions s’arrêtaient au Suriname, direction Amsterdam. Ancienne colonie hollandaise, le petit État avait droit à un traitement de faveur. Depuis que les passagers des vols entre les deux pays sont soumis à un scanner automatique, plus personne ne passe. Et devinez qui n’a pas mis en place ces scanners antidrogue ? La France, bien entendu.
Guyane: peu d’espoir, mais beaucoup de coke
La vie est loin d’être rose sur la terre ocre de Guyane. Du moins, par rapport à la métropole : plus de 50 % de la population vit sous le seuil de pauvreté et 20 % est au chômage. En revanche, la situation est bien meilleure qu’au Suriname. Aussi des milliers d’immigrés de l’ancienne colonie hollandaise ont-ils franchi la frontière, au niveau de la ville fluviale de Saint-Laurent-du-Maroni. En quête d’une vie meilleure, les Surinamais qui traversent la frontière ne comptent pas sur des activités légales pour l’obtenir. Le Suriname étant un narco-État, corrompu à tous les niveaux par ce trafic de cocaïne, ses habitants sont aussi directement impliqués dans l’affaire. Ainsi, ils se font eux-mêmes passeurs, prenant le relais des Colombiens, et franchissent le fleuve Maroni pour chercher des mules en Guyane française.
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La frontière, longue de 520 kilomètres, n’est que peu surveillée. Pour quelques euros, on traverse les deux kilomètres de large du fleuve, et l’on change de pays. Par ce chemin, rien de plus aisé que faire entrer de la drogue en France, et des dizaines de kilos y passent ainsi tous les jours.
Contrôles insuffisants
Les mules sont devenues des éléments de la culture guyanaise depuis quinze ans. Aller à Orly lorsqu’on est issu d’un milieu populaire, cela signifie avaler plusieurs ovules, parfois plus d’un kilo de drogue, pour toucher entre 2 000 et 10 000 euros, dans le langage courant. Qui sont ces mules ? Principalement des membres des classes populaires sans espoir, qui voient dans le trafic leur salut. Dans le deuxième département le plus inégalitaire de France, nombreux sont ceux qui disent ne pas avoir d’autre choix. À raison d’environ cent par jour, on peut estimer à plus de 35 000 le nombre de billets Félix-Éboué[1]-Orly qui sont pris chaque année.
Certains sont sacrifiés en route. Les contrôles, s’ils sont largement insuffisants, existent. D’abord, sur la route entre Saint-Laurent-du-Maroni et Cayenne, puis à l’aéroport Félix-Éboué, et enfin à Orly. La Guyane est une exception : bien que française, elle n’est pas dans l’espace Schengen. Mais à Cayenne, on compte seulement dix places de rétention pour ingestion d’ovules, et les policiers savent bien qu’ils sont tout à fait incapables d’incarcérer tant de personnes. Beaucoup, comme le Syndicat de la Magistrature, pensent que la répression n’est pas la solution. En septembre 2022, une expérience a été menée à Cayenne : on n’a procédé à aucune arrestation pour trafic de moins de 1,5 kilo de drogue. Pas certain que cette mesure contribue à ralentir l’arrivée de cocaïne en France. Faute de volonté politique, la Guyane pourrait bien devenir un narco-département.
[1] Nom de l’aéroport de Cayenne.