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Guyane: un bobo au temps béni des colonies

Portrait du petit blanc de gauche en néocolon


Guyane: un bobo au temps béni des colonies
Rassemblement contre le projet d'exploitation de la Montagne d'or, Cayenne, juin 2018. Sipa. Numéro de reportage : 00864032_000022

Souvent de gauche, pleins de bonnes intentions, les métropolitains qui débarquent en Guyane se comportent bien souvent en néocolons….


 

Un peu d’histoire. Département français, la Guyane a d’abord été accostée en 1530 par les Espagnols, qui y furent massacrés. Puis, dupés par la légende de l’Eldorado, les Français, les Anglais et les Hollandais se combattront pour posséder cet hostile bout de terrain. Lors du XVIIème siècle, l’installation des Français, guidée par Louis XIV, prendra corps. En 1676, la Guyane est officiellement une colonie française. La France y exporte alors, comme maintenant, des fonctionnaires et militaires. Vient la traite négrière transatlantique, avec son lot d’esclaves noirs. Le « Code Noir » y est promulgué en 1686. Après presque deux siècles d’esclavage et de résistances, notamment des Noirs-Marrons, l’esclavage y est aboli en 1848. Lors de la traite transatlantique, les grands propriétaires possédaient entre 50 et 100 esclaves. Les petits blancs en possédaient une dizaine.

Visiter le monde tout en restant chez soi

Aujourd’hui, le petit blanc n’a plus d’esclaves. Et celui qui vient de débarquer de métropole pour un boulot dans l’Education Nationale ou la santé a souvent le cœur à gauche. D’ailleurs, il est ravi de discuter avec des Noirs, pardon, des Blacks, et parfois, il en a même dans son cercle d’amis. Il écoute du reggae, le néocolon de gauche, et il lui arrive de fumer des pétards.  Il admire Che Guevara, Jean-Luc Mélenchon ou Stéphane Hessel, et il est souvent solidaire des Tibétains et des Palestiniens. N’allez surtout pas lui dire que la France, si prompte à sermonner l’Etat d’Israël sur ses colonies, ferait bien de balayer devant sa porte, cela peut le mettre hors de lui. L’un d’entre-eux m’a affirmé que le Français venu en Guyane, contrairement au colon d’Hébron, « apprend aux Noirs-Marrons à parler un bon français ». N’est-ce pas la preuve de ses bonnes intentions ? Il serait plutôt aventurier, le néocolon de gauche. Mais attention, pas n’importe-où. Car il pense à son compte en banque, et aussi à sa retraite. Et s’il ne cesse de dire qu’il est ravi d’être en Guyane, où il estime se sentir utile, il irait quand même bien voir ailleurs. Les restes de l’Empire français n’offrent-ils pas un choix suffisant pour allier exotisme et portefeuille ? Au choix, la splendide Réunion, la tumultueuse Mayotte, la mythique Tahiti, la Nouvelle Calédonie, Saint Pierre et Miquelon. Ou pourquoi pas Wallis et Futuna ? Être né français offre de bien belles possibilités d’explorations. Mais attention, il ne s’agirait pas d’aimer la France pour autant. Non, le passé colonial, la guerre en Libye, voir la Syrie pour certains, la “jungle” de Calais, le roi Macron, sans parler de la Françafrique, cela suffit à honnir le pays qui lui a permis d’aller au bout du monde tout en restant chez lui. D’ailleurs, s’il décide de poursuivre sa carrière dans un pays francophone d’Afrique, tel le bon vieux Sénégal, avec de très bonnes conditions de salaires, ce sera pour le seul amour du continent noir, et il ne devra rien à la France.

« Les Amérindiens ne sont pas toujours accueillants »

Le néocolon de gauche se sent sensible au sort des peuples premiers. En Guyane, il ira faire un tour dans un des villages amérindiens, symboles de l’ancien monde qui résiste à la décadence de la société occidentale. Il y ira généralement en groupe, avec des gens comme lui. A la recherche des bons sauvages en costumes traditionnels, il tentera l’aventure. Mais à son retour, il sera souvent déçu. Les Amérindiens sont entrés dans la modernité, le temps de « Tristes Tropiques » est révolu – d’ailleurs, une néocolon mélenchoniste m’a bien affirmé que c’était un ouvrage ethnocentrique et parfois raciste. Et pourra sous-entendre, voire affirmer franchement que « les Amérindiens ne sont pas toujours accueillants ». De quoi tomber de haut. Ne lui était-il pas venu à l’idée qu’à moins d’être réellement passionné par leur culture, il serait bien de laisser ces gens-là tranquilles ? Mais cela sera sans rancune, pour le néocolon de gauche : il est totalement opposé au projet « Montagne d’or ». Pourquoi ? Ben… parce que ce n’est pas bien pour les Amérindiens et que l’or, c’est le mal. Il n’a pas plus d’estime pour les orpailleurs illégaux, d’ailleurs, ces bruyants brésiliens  qui, vous savez quoi ? Embauchent des prostitués.  Là, c’est niet. Le néocolon de gauche prône l’ouverture, mais pas avec n’importe qui. Une prostituée brésilienne ou dominicaine en Guyane, ça reste une prostituée, donc peu fréquentable. Idéologiquement hostile à l’armée, il n’a pas non plus une grande considération pour les militaires qui combattent ces même orpailleurs illégaux.

Aux armes, citoyen du monde !

Plus Nuit debout que Gilets jaunes, le néocolon de gauche est généralement révulsé par le nucléaire. Cependant, il n’est pas dérangé par les gros nuages blancs propulsés par les fusées Ariane. Il programmera même une sortie touristique sur la base de Kourou, où il pourra voir de près les fusées du Centre spatial guyanais décoller. N’est-ce pas une bénédiction d’être né français ? Il ne sait pas. En admirant les fusées, il pourra pourtant croiser d’autres néocolons, qui ne se prétendent pas forcément écolos comme lui, dans des treillis militaires flanqués d’une cocarde tricolore. De quoi susciter un amour du drapeau ? Ce serait oublier qu’avant d’être français, il se sent d’abord citoyen… du monde!

Le néocolon de gauche reste empêtré dans ses contradictions : il dit n’apprécier ni la France, ni son passé colonial, mais il ne saurait faire sans. Il pourrait pourtant prendre le large. Néocolon de gauche, si tu me lis, tente l’aventure hors des restes de l’Empire français, la Terre est suffisamment grande et accueillante. Si tu te penses vraiment tiers-mondiste, lis Jean-Paul Sartre ou Frantz Fanon et agis en conséquence. Ou alors, assume le fait d’être un néocolon au service de la France. Ce n’est pas si dégradant que tu le penses, tu verras.

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Enseignant, auteur du roman "Grossophobie" (Éditions Ovadia, 2022).

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