On disait de lui qu’il avait « l’œil absolu », les féministes en font le promoteur de la culture du viol. Réputé pour ses photos décalées et très narratives, le photographe de mode Guy Bourdin, mort en 1991, est le nouvel artiste à censurer. Pourtant, son féminisme était plus que visible dans ses photos !
Mercredi dernier, des militantes féministes se sont rassemblées devant le Matou, le musée de l’Affiche de Toulouse. Comme toujours, ces dames étaient indignées. Le motif de leur courroux ? L’exposition consacrée au photographe de mode Guy Bourdin qui n’a pas été annulée, comme certains l’avaient réclamé. Privilège des vrais artistes, les œuvres de Guy Bourdin ont survécu à la mort de leur auteur. Mais notre époque, phagocytée par le révisionnisme progressiste, le tire de sa tombe pour le juger, en s’attaquant à ce qui reste de lui.
De quoi Bourdin est-il accusé ? Pour les féministes ayant battu le pavé toulousain, le photographe de mode véhiculerait à travers ses clichés pour Vogue ou pour le chausseur Charles Jourdan une image stéréotypée du corps de la femme. On ne lui reproche même pas des clichés “sexistes”, il serait pire que ça, selon elles. C’est carrément un promoteur de la culture du viol.
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Un promoteur de la culture du viol ?
C’est d’ailleurs cette accusation qui a été taguée sur l’affiche de l’exposition. La photo qui l’illustre est pourtant loin d’être salace : on y voit une femme rousse en maillot rouge, assise de dos bien sagement. Mais pas besoin de dévoiler l’Origine du monde pour indigner ces néoféministes à la pudeur de gazelle lorsqu’il s’agit d’œuvres dont l’auteur est un homme blanc hétéro. « Nous sommes en colère, car les photos de cet homme représentent des corps ou des morceaux de corps de femmes, dans des positions lascives et explicites. Elles produisent et diffusent la culture du viol » [1], expliquait non sans hargne une porte-parole du mouvement HF Occitanie Alliées. Celle-ci était entourée d’autres militantes brandissant des pancartes sur lesquelles étaient inscrits des slogans qui versaient soit dans le scato-infantile comme « Bourdin caca », ou, dans un registre militant plus identitaire : « Je suis plus qu’une jambe ».
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Si l’on suit leur argumentation, la Vénus de Milo et bon nombre de statues gréco-romaines démembrées seraient donc à censurer ! Pourtant, si Guy Bourdin a choisi de couper – dans ses œuvres – le corps des femmes, ce n’était pas pour assouvir une pulsion de violeur, mais parce que cela correspondait à sa vision artistique. « Les jambes des femmes sont des compas qui arpentent le monde en tous sens lui donnant son équilibre, son harmonie. » Comme Truffaut, Bourdin a été un homme qui a aimé les femmes et leurs jambes et les a célébrées à sa manière. Il a photographié des jambes sans corps, des jambes sans buste, des jambes sans tête et des jambes perchées sur des talons aiguilles signées Charles Jourdan. Il a su imposer son style artistique à la publicité, mettant les femmes en scène d’une manière particulière. Au moment de sa disparition, en 1991, Francine Crescent, rédactrice en chef du Vogue Paris expliquait que son originalité résidait certes dans le “glamour” de ses photos de mode mais aussi dans la dimension narrative et les intrigues des clichés. En bon libertaire des seventies qui se respecte, Guy Bourdin a en réalité libéré ses mannequins des postures subies et offertes à l’œil voyeur du spectateur, en les faisant évoluer dans une véritable mise en scène narrative. Il a transgressé les codes de la photo pour jouer avec un esthétisme troublant qui explore l’inconscient, puise dans le surréalisme à la Man Ray avec des poses absurdes, s’inspire de l’univers des thrillers psychologiques hitchcockiens ou de l’inquiétante étrangeté du cinéma d’un David Lynch.
Surveiller et salir
« S’il vous plait, plus d’imagination pour nos rêves érotiques » lisait-on sur une des pancartes de la manif anti-Bourdin.
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On atteint là le point ultime de la cécité idéologique ! Ces militantes ne comprennent-elles pas qu’elles exigent finalement ce que leur mouvement souhaite précisément effacer, interdire, censurer ? Obsédées par la guerre des sexes, ces dames sont totalement hermétiques à la création artistique et à son interprétation. Ces néoféministes, qui ne jurent que par « oser le clito », passent leur temps à revendiquer une sexualité libérée de l’emprise masculine. Mais si elles étaient moins obtuses, elles devraient en réalité se réjouir de trouver en Guy Bourdin un photographe qui a mis en scène un monde de femmes sans hommes (!). Les femmes de Bourdin ressemblent à celles d’Helmut Newton, ce sont des amazones conquérantes, fières de leur pouvoir érotique, puissantes et indépendantes. J’en veux pour preuve les unes de Vogue France de décembre 1976 et de janvier 1977, qui en est une puissante illustration avec des corps de femmes nues, où l’on voit à la place du sexe le pistil majestueux d’une fleur en érection.
Mais surveiller et salir, tel est le nouveau mantra de ces néoféministes inquisitrices qui trahissent les idéaux libertaires de leurs aînées.
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