Les animaux se divisent en plusieurs catégories : avec ou sans plumes, avec ou sans griffes, avec une bosse ou deux sur le dos, ou aucune, avec des poumons ou des branchies, etc. À l’instar du règne animal, il est très aisé − et utile − de diviser les faits divers en catégories assez précises afin de pouvoir les appréhender plus facilement… Ainsi, on observera qu’un fait divers implique ou non un chasseur ivre ou farceur (auquel cas vous obtenez un accident de chasse) ; si un fait divers est le produit d’un différend musclé entre deux militaires inconciliables devant un débit de boisson doté de la licence IV, il entrera dans la catégorie infiniment poétique des « rixes » entre légionnaires (vous noterez que l’on ne parle jamais, mystérieusement, des rixes qui finissent bien…), etc. Les catégories sont nombreuses au royaume des chiens écrasés ; et le navrant le dispute toujours au cocasse, le métaphysique au gendarmesque, et l’absurde quotidien à la poétique onirique.
Un fait divers de qualité est souvent le résultat du mélange de plusieurs ingrédients. L’infusion est délicate. La chimie de l’actualité générale est délicate. Certaines dépêches semblent cumuler tant de points qu’elles tendent au chef-d’œuvre. Ainsi, l’AFP en a récemment diffusé une délicieuse, titrée : « Un Russe amoureux vole à main armée des bouquets chez un fleuriste. » Certes, on notait il y a quelques lunes, dans la presse, le cas d’un ivrogne déboussolé réclamant, l’arme factice à la main des pizzas aux anchois dans un restaurant bordelais (et pas la caisse !), mais le phénomène reste marginal…
« Un Russe, pistolet à la main, a attaqué une boutique de fleurs, à Moscou, pour voler des roses qu’il a ensuite offertes à sa bien-aimée, a indiqué, vendredi, le quotidien Komsomolskaïa Pravda, citant une source policière. Le jeune homme en état d’ébriété, âgé de 23 ans, a tiré des coups de feu dans la boutique, obligeant le vendeur à lui donner cinq bouquets de roses d’un coût de 10 000 roubles (240 euros), a précisé une porte-parole de la police sur le site du journal. »
Naturellement, c’est mal. Les codes élémentaires et citoyens de la bienséance et du vivre-ensemble sont ébranlés par cette effusion effervescente… L’AFP poursuit, triste : « Il a été arrêté une heure plus tard dans un foyer où logeait sa bien-aimée, dénoncé par le chauffeur de taxi auquel il avait proposé des roses pour payer son trajet. »
La dépêche s’achève gracieusement par cette clé : « La veille, la jeune femme l’avait chassé de chez elle parce qu’il était venu ivre et sans fleurs, écrit le quotidien. Il risque jusqu’à dix ans de prison. »
Pas mieux.
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