Retrouvez la première partie de l’entretien ici
Quand les politiques parlent de « mixité sociale », ils entendent en fait « mixité ethnique ». Quel est la réalité de l’une et de l’autre ?
En réalité, elles vont rarement ensemble. En région parisienne, on peut avoir un peu de mixité sociale sans mixité ethnique. La famille maghrébine en phase d’ascension sociale achète un pavillon à proximité des cités. Par ailleurs, les logiques séparatistes se poursuivent et aujourd’hui les ouvriers, les cadres de la fonction publique et les membres de la petite bourgeoisie maghrébine en ascension sociale évitent les quartiers où se concentre l’immigration africaine. Ça me fait penser à la phrase de Valls sur l’apartheid. Il devait penser à Évry, où le quartier des Pyramides s’est complètement ethnicisé : là où vivaient hier des Blancs et des Maghrébins, ne restent plus aujourd’hui que des gens issus de l’immigration subsaharienne.
En réalité, tout le monde – le petit Blanc, le bobo comme le Maghrébin en phase d’ascension sociale – souhaite éviter le collège pourri du coin et contourne la carte scolaire. On est tous pareils, seul le discours change… [access capability= »lire_inedits »]
Cependant, dans les grandes villes, des enfants d’immigrés accèdent à la classe moyenne, non ?
À catégories égales, la mobilité sociale est plus forte dans les grandes métropoles. C’est normal : c’est là que se concentrent les emplois. Contrairement aux zones rurales, où l’accès au marché de l’emploi et à l’enseignement supérieur est difficile, les aires métropolitaines offrent des opportunités y compris aux catégories modestes. Or ces catégories, compte tenu de la recomposition démographique, sont aujourd’hui issues de l’immigration. Cela explique l’intégration économique et sociale d’une partie de cette population. Évidemment, l’ascension sociale reste minoritaire mais c’est une constante des milieux populaires depuis toujours : quand on naît « en bas », on meurt « en bas ».
On entend souvent des électeurs du FN dire qu’on n’en fait que pour les immigrés. Les classes populaires immigrées ont-elles été privilégiées par rapport aux classes populaires autochtones ?
Non, les classes populaires immigrées bénéficient simplement d’un atout : celui de vivre « là où ça se passe ». Il ne s’agit pas d’un privilège résultant d’une politique volontariste. Tout ça s’est fait lentement. Il y a des logiques démographiques, foncières et économiques. Il faut avoir à l’esprit que la France périphérique n’est pas 100 % blanche, elle comporte aussi des immigrés, et puis il y a également les DOM-TOM, territoires ultrapériphériques !
D’accord, mais il y a aussi des logiques culturelles de séparation. Dans une société assimilationniste et républicaine plutôt que multiculturelle, aurions-nous pu éviter un découpage ethnique du territoire ?
Il est impossible de répondre à une telle question ! Notre erreur est d’avoir pensé qu’on pouvait appliquer le modèle mondialisé économique sans obtenir ses effets sociétaux, c’est-à-dire le multiculturalisme et une forme de communautarisme. La prétention française, c’était de dire : « Nous, gros malins de Français, allons faire la mondialisation républicaine ! » Il faut constater que nous sommes une société américaine comme les autres. La laïcité et l’assimilation sont mortes de facto. Il suffit d’écouter les élèves d’un collège pour s’en convaincre : ils parlent de Noirs, de Blancs, d’Arabes. La société multiculturelle mondialisée génère partout les mêmes tensions et paranoïas identitaires, nous sommes banalement dans ce schéma en France. Dans ce contexte, la question du rapport entre minorité et majorité est en permanence posée, quelle que soit l’origine. Quand ils deviennent minoritaires, les Maghrébins eux-mêmes quittent les cités qui concentrent l’immigration subsaharienne. Sauf que comme en France il n’y a officiellement ni religion ni race, on ne peut pas en parler… Ceux qui osent le faire, comme Michèle Tribalat, le paient cher.
Dans la France idéale que construit cette « France d’en haut », la politique parisienne de la ville propre et festive permet en quelque sorte de couvrir l’exclusion des classes populaires d’un vernis branché ?
Oui. La création de zones piétonnières fait augmenter les prix du foncier. Et les aménagements écolos des villes correspondent, de fait, à des embourgeoisements. Tous ces dispositifs amènent un renchérissement du foncier et davantage de gentrification. Pour baisser les prix ? Il faut moins de standing. Or la pression est forte : à Paris, plus de 40 % de la population active est composée de cadres. C’est énorme ! Même le XXe arrondissement est devenu une commune bourgeoise. Et puis l’embourgeoisement est un rouleau compresseur. On avait pensé que certaines zones resteraient populaires, comme la Seine-et-Marne, mais ce n’est pas le cas. Ce système reproduit le modèle du marché mondialisé, c’est-à-dire qu’il se sépare des gens dont on n’a pas besoin pour faire tourner l’économie.
À cet égard, y a-t-il une différence entre Paris et Bordeaux, Hidalgo et Juppé ?
La politique municipale de Bordeaux est la même que celle de Lyon ou de Paris. Il y a une logique qui est celle de la bourgeoisie mondialisée, qu’elle soit de droite ou de gauche. Elle est libérale-libertaire, tantôt plus libertaire (gauche), tantôt plus libérale (droite)…
À l’avenir, si le bobo subit les affres de la cohabitation avec les islamistes comme rue Jean-Pierre Timbaud à Paris, pourrait-il se radicaliser et se mettre à rêver d’un Geert Wilders français, quitte à développer un certain protectionnisme identitaire ?
Non. Un des codes fondamentaux de la nouvelle bourgeoisie, c’est l’ouverture. Si on lâche ce principe, on est presque en phase de déclassement. Le vote populiste, c’est celui des gens qui ne sont plus dans le système, les « ratés », et personne, dans le milieu bobo, n’a envie d’avoir l’image d’un loser. Le discours d’ouverture de la supériorité morale du bourgeois est presque un signe extérieur de richesse. C’est un attribut d’intégration. Aux yeux de la classe dominante, un homme tolérant est quelqu’un qui a fondamentalement compris le monde.
À vous écouter, on ne comprend pas pourquoi votre livre s’intitule Le Crépuscule de la France d’en haut… Cette bourgeoisie a l’air d’aller bien.
Mais plus personne ne l’écoute ! Quand on regarde catégorie après catégorie, c’est un processus de désaffiliation qui s’enchaîne et se reproduit, incluant notamment le divorce des banlieues avec la gauche. Le magistère de la France d’en haut est terminé ! Électoralement, on le voit déjà avec la montée de l’abstention et du vote FN. Le FN existe uniquement parce qu’il est capable de capter ce qui vient d’en bas, pas parce qu’il influence le bas. Ce sont les gens qui influencent le discours du FN, et pas le contraire ! Ce n’est pas le discours du FN qui imprègne l’atmosphère ! Le Pen père n’était pas ouvriériste, ce sont les ouvriers qui sont allés vers lui. Le FN s’est mis à parler du rural parce qu’il a observé des cartes électorales… les campagnes sont un désert politique rempli de Français dans l’attente d’une nouvelle offre. Bref, ce système ne peut pas perdurer. Après, comment tout cela va se structurer, je n’en sais rien !
Pourquoi le discours de Chevènement n’a-t-il pas convaincu cette France-là ?
Parce qu’il n’a pas voulu aller sur la question de l’immigration ! Si l’on regarde le dernier sondage Ipsos réalisé dans 22 pays, on y découvre que seulement 11 % des Français (dont beaucoup d’immigrés !) considèrent que l’immigration est positive pour le pays. C’est marrant, les journalistes sont 90 % à penser le contraire. En vérité, il n’y a plus de débat sur l’immigration : tout le monde est d’accord sauf des gens qui nous mentent…
Et les hommes politiques que vous rencontrez, que vous disent-ils ?
Les ministres et gouvernements successifs sont pris dans la même contradiction : ils ont choisi un modèle économique qui crée de la richesse, mais qui n’est pas socialement durable, qui ne fait pas société. Ils n’ont de fait aucune solution, si ce n’est de gérer le court terme en faisant de la redistribution. La dernière idée dans ce sens est le revenu universel, ce qui fait penser qu’on a définitivement renoncé à tout espoir d’un développement économique de la France périphérique. [/access]
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