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Guerre russo-ukrainienne: en attendant l’offensive

L'analyse géopolitique de Gil Mihaely


Guerre russo-ukrainienne: en attendant l’offensive
Kiev, 7 février 2023 © Daniel Cole/AP/SIPA

L’incertain printemps ukrainien


Après presque trois mois sans manœuvre majeure, relativement calmes en dehors de Bakhmout, à quelques semaines de la fin de l’hiver, les deux camps parachèvent la reconstitution de leurs forces. Petit à petit, les contours des opérations probables se précisent.

Après les offensives ukrainiennes réussies d’aout-novembre à Kharkiv et à Kherson, l’armée russe a commencé l’hiver dans une situation de vulnérabilité. La mobilisation lancée fin septembre a permis de stabiliser les lignes russes, de relever des effectifs du front et de constituer des réserves. Par conséquent, en termes d’effectifs, l’Ukraine ne bénéficie plus d’un avantage significatif. Sous le commandement du général Sergueï Sourovikine, les forces russes ont adopté une stratégie défensive, appuyée sur la reconstitution de leurs forces et le retranchement. Ces actions ont été accompagnées et couvertes par une campagne de frappes contre les infrastructures critiques de l’Ukraine, au moyen de missiles longue portée, et d’une offensive continue à Bakhmout – largement exécutée par les miliciens de Wagner, notamment avec les fameuses troupes issues du système carcéral russe.

Des effectifs russes pléthoriques

Depuis le lancement de la mobilisation, la Russie a probablement doublé ses effectifs déployés en Ukraine. Ses revers (l’abandon de la ville de Kherson en est le plus significatif) lui ont permis de considérablement réduire et simplifier le front défendu, ainsi que de libérer les hommes du matériel. Les Ukrainiens estiment les forces russes à 320 000 hommes, incluant les forces sous drapeaux de Louhansk et Donetsk, ainsi que les hommes de Wagner et de Khadirov. Le spécialiste américain, Michael Kofman, juge cette estimation exagérée et évalue de son côté les effectifs russes à quelques 250 000 hommes. Les Russes peuvent également compter sur 150 000 autres hommes mobilisés dans le pays, pas encore déployés en Ukraine, mais relativement disponibles. Si les Russes semblent avoir résolu pour le moment le problème des effectifs, la question du niveau de préparation et de la qualité de ces unités reste entière.

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Pour ce qui concerne leurs capacités à mener un combat défensif, il est difficile en ce moment d’évaluer les lignes et dispositifs défensifs russes, car ils n’ont pas encore été (véritablement ?) testés. Pas de doute en revanche sur la capacité russe à disposer d’effectifs adéquats ni à pouvoir fournir des stocks de matériel pour équiper les hommes. Mais la qualité des unités russes semble toujours être faible. Ce problème est d’autant plus handicapant quand il s’agit du potentiel offensif. Par conséquent, les unités mobilisées russes peuvent probablement mener une défense tenace, mais elles seront moins susceptibles d’exécuter des opérations offensives interarmes de grande envergure. Sur ce point, il est manifeste que les hommes mobilisés n’ont pas vraiment remplacé les soldats professionnels perdus depuis le 24 février 2022.

Les forces russes dépendent toujours de troupes aéroportées (VDV, Vozdushno-desantnye voyska) et de l’infanterie navale, leurs meilleures unités, en tant que réserve pour les contre-attaques ou forces d’assaut pour les offensives. Ces unités aussi semblent avoir perdu une partie de leur efficacité en raison des pertes qualitativement non remplacées.

Les Ukrainiens sur le point de lâcher Bakhmout ?

Sur le terrain, la situation autour de Bakhmout, après la chute de Soledar, est de plus en plus difficile pour les Ukrainiens, et il n’est pas exclu qu’ils finissent par se retirer de cette ville. Cependant, l’Ukraine dispose de solides lignes défensives (Sloviansk / Kramatorsk), tandis que la Russie ne semble pas avoir les moyens de maintenir un élan et d’exploiter ce succès possible.

Ayant perdu Izioum et Lyman en septembre, la Russie n’a plus la possibilité de développer depuis le nord une attaque de soutien dans le Donetsk. Gagner Bakhmout offre des opportunités pour la Russie, opportunités qu’elle n’est pas dès lors, en mesure d’exploiter.

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Si la ville de Bakhmout en elle-même est géographiquement importante, sa valeur est surtout symbolique et politique. Les deux camps ont énormément investi dans cette bataille, et renoncer sera difficile. En même temps, une bonne partie de la défense de Bakhmout semble reposer sur des unités de la Force de défense territoriale ukrainienne, de la Garde nationale et la Légion de volontaires étrangers, ce qui suggère que l’Ukraine tente d’épargner ses meilleures unités et de les préserver pour la suite. Cette observation permet aussi de mieux comprendre les succès de Wagner et les pertes des Ukrainiens. La meilleure illustration de l’état actuel des capacités offensives russes, ce sont leurs difficultés à percer vers Sloviansk et Kramatorsk. Huit mois après avoir pris Lyssytchansk, fin juin, et face à des unités ukrainiennes peu qualitatives, les Russes sont toujours à Bakhmout !

Globalement, il semble que la bataille pour Kreminna est plus importante que celle de Bakhmout. L’Ukraine a progressé dans ce secteur jusqu’à la contre-attaque du VDV de la 76e division d’assaut aérien de la Garde. La bataille continue et pour rappel, pour l’Ukraine, une percée de la ligne Svatove-Kreminna peut éventuellement mener au centre logistique russe de Starobilsk.  

Comme on peut le comprendre, le Donbass reste au cœur des opérations militaires russes. Il est donc probable que les offensives russes aient pour objectif la prise de ce territoire. On peut donc s’attendre à des efforts au nord (Koupiansk) et aussi vers le sud du front, autour de Vuhledar, un secteur où l’activité augmente. Mais là aussi, les meilleures unités russes, le VDV et l’infanterie de Marine, ont essayé sans succès de prendre Vuhledar.

Que va faire l’Ukraine ? D’un point de vue purement militaire, l’Ukraine pourrait attendre l’offensive, l’encaisser et, une fois le potentiel offensif russe épuisé, reprendre l’initiative. Mais à Kiev, l’État-major hésite beaucoup : jouer la montre et attendre l’adversaire semble à certains plus risqué encore que de lancer une offensive, même si tous les équipements occidentaux ne sont pas encore livrés et entrés en service opérationnel. 




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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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