La France se rapproche de l’Azerbaïdjan pour faire face aux conséquences de l’invasion russe
La guerre en Ukraine est un séisme géopolitique sans précédent depuis la chute de l’URSS. Les principales caractéristiques de cette brutale secousse dans notre tectonique des plaques géopolitique sont l’émergence rapide d’une nouvelle logique de blocs, la découverte d’intérêts vitaux convergents, et la mise sous le tapis d’anciennes querelles et rivalités. Les négociations accélérées entre Washington et Caracas en sont un bon exemple. Après des années d’embargo qui ont ruiné le Venezuela, Joe Biden a récemment envoyé un message diplomatique clair à Maduro : “si tu reviens, j’annule tout” !
Embrassons-nous, Folleville!
Une autre région où les choses évoluent rapidement est le Caucase du sud. Ce n’est un secret pour personne que ces dernières années, entre la France et l’Azerbaïdjan, ce n’était pas l’amour fou. Depuis le début du quinquennat d’Emmanuel Macron, bien avant la seconde guerre de Karabakh, la France, pourtant co-présidente du groupe de Minsk supposé encadrer et encourager un processus de paix entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie, cachait de moins en moins ses sympathies et son soutien à Erevan sans se soucier des nombreux messages de plus en plus agacés de Bakou. Depuis la visite de Macron à Erevan en octobre 2018, les invitations pour une visite officielle de Macron à Bakou – même de courte durée – sont restées sans réponse. Et la position officielle de Paris pendant la guerre de l’automne 2020 et depuis n’a guère laissé de doutes chez les Azerbaïdjanais de la rue comme au gouvernement quant aux sentiments des Français. Et puis, la Russie a envahi l’Ukraine.
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Tout d’un coup, on se souvient que l’Azerbaïdjan dispose d’un atout géostratégique assez rare : non seulement il a du gaz, mais il a ses propres gazoducs pour l’exporter directement ! Cet atout mérite bien qu’on s’y attarde un peu.
Quand Heydar Aliyev est élu président de la République d’Azerbaïdjan en 1993, il prend la tête d’un pays ruiné en train de perdre la guerre avec l’Arménie et en conséquence de 20% de son territoire. Il se résigne à arrêter une guerre qui était perdue (décision extrêmement difficile) et se préoccupe du développement économique de son pays. Cela impliquait deux choses : reconstruire l’industrie pétrolière d’abord, se doter des moyens d’exporter les hydrocarbures sans passer par la Russie ensuite.
Débarrassés de la tutelle russe
Pourtant, en 1995-1996, la Russie eltsinienne semblait peu menaçante et plutôt ouverte aux affaires. Mais dans cette région du monde plus qu’ailleurs, on sait qu’il faut avancer vite quand la Russie est à terre (les indépendances des trois Républiques de la région datent de fin mai 1918), car elle finit toujours par revenir (Géorgie, Arménie et Azerbaïdjan deviennent des Républiques socialistes soviétiques dès les années 1920). En 1991, une fenêtre d’opportunité est de nouveau ouverte et l’Azerbaïdjan la saisit. Le pipeline est inauguré en 2006 peu de temps avant que Poutine ne reprenne les choses en main. À quelques années près, Poutine n’aurait jamais laissé faire Bakou. Quand ce dernier est en mesure de bloquer le projet, il était trop tard… D’autres qui ne l’ont pas fait à temps sont aujourd’hui, malgré leurs immenses ressources énergétiques, les otages de la Russie (par exemple le Kazakhstan).
Cet atout vaut aujourd’hui à Bakou une place à la table. Selon certaines sources, le téléphone du président azerbaïdjanais, Ilham Aliyev, ne cesse pas de sonner. Charles Michel, Mario Draghi (celui-là même qui il y a deux ans n’avait pas compris pourquoi il fallait se donner la peine de le rencontrer pendant sa visite en Italie), le Secrétaire général de l’OTAN et Emmanuel Macron l’appellent souvent. Et avec la fréquence des échanges, le ton a changé aussi.
L’Azerbaïdjan soutient l’Ukraine
Côté Bakou, on n’est pas rancuniers. Les Européens et notamment la France ont demandé à l’Azerbaïdjan d’aider la Moldavie, le maillon faible des anciens territoires de l’URSS. Bakou s’est engagée à fournir à Chisinau ce dont elle avait besoin pour se passer du gaz russe l’hiver prochain. C’est une opération compliquée qui exige de renverser le sens du flux de gaz (qui va aujourd’hui de la Russie vers la Bulgarie) pour pouvoir acheminer le précieux hydrocarbure du sud vers le nord. Depuis janvier 2021 l’Azerbaïdjan a déjà fourni 19,5 milliard de mètres cubes (MMC) de gaz (à la Turquie, à l’Italie, à la Grèce et à la Bulgarie), et il s’est engagé à augmenter les volumes exportés de 7 ou 8% (1,5 MMC) dans les mois à venir.
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L’Azerbaïdjan s’est engagé aussi à soutenir l’Ukraine avec l’acheminement d’aides humanitaires depuis le 26 février (soit dès le troisième jour de la guerre). La société nationale d’énergie (SOCAR), propriétaire d’une soixantaine de stations service en Ukraine, a mis ses établissements à disposition des ambulances, services de secours ou de santé qui peuvent venir y faire le plein d’essence jusqu’à épuisement des stocks. Ces dernières décennies, Bakou a su trouver une voie politique permettant de vivre en paix dans une région considérée par les Russes comme faisant partie de leur sphère d’influence. L’Azerbaïdjan poursuit son chemin sans redevenir le vassal de Moscou ni s’attirer ses foudres comme la Géorgie et l’Ukraine. Etre le voisin de la Russie est un emploi à temps plein ! La marge de manœuvre de Bakou entre les nouveaux blocs géostratégiques ayant émergé depuis le 24 février est certes limitée, mais elle est suffisamment importante pour que la France et l’Europe opèrent une volte-face dans leurs relations avec l’Azerbaïdjan.
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