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Guerre en Ukraine, droit d’inventaire

Une tribune libre d’Alain Destexhe


Guerre en Ukraine, droit d’inventaire
Deux femmes devant un immeuble bombardé par les troupes russes, Izioum, Ukraine, 10 septembre 2023 © Ukrinform/SIPA

Après l’espoir de la contre-offensive ukrainienne, le temps des désillusions pour les soutiens de Kiev.


La réaction occidentale à la guerre en Ukraine a eu des conséquences désastreuses pour les peuples européens. Souvenons-nous. Lorsque la Russie a envahi l’Ukraine, nous étions en pleine euphorie post-Covid. La croissance de 7% était au rendez-vous, l’économie reprenait, les taux d’intérêt étaient proches de 1% ; le « rebond » allait permettre de gommer le passé récent et l’optimisme était de mise. Et puis patatras. Suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les États-Unis et l’Union européenne ont décidé de faire de ce conflit territorial limité, dont les conséquences pour l’Europe et le monde étaient difficiles à mesurer, un enjeu moral et géopolitique majeur. L’Occident ne doutant pas de lui-même, la crise serait courte et, bientôt, la Russie à genoux. Droit dans ses bottes, l’impayable ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, annonçait « l’effondrement de l’économie russe ». Quant à l’armée russe, elle serait tellement obsolète qu’il suffirait de donner à l’armée ukrainienne quelques matériels de haute technologie pour qu’elle aussi s’effondre.

L’économie russe plus résiliente qu’escompté

Dix-neuf mois et onze trains européens de sanctions plus tard, – des sanctions d’une « efficacité redoutable » selon le même prescient Le Maire en mars 2022 – l’économie russe est, certes, en difficulté mais ne s’est nullement effondrée et fait même preuve d’une étonnante résilience. Ce sont les économies européennes qui sont en (quasi) récession et une inflation inédite depuis les années 70 touche de plein fouet les ménages. Les Européens se sont souvent trouvés confrontés à des choix que l’on croyait révolus entre se chauffer et se nourrir correctement ! Contrairement aux illusions européennes, seuls les pays occidentaux ont adopté des sanctions, le reste du monde n’a pas suivi et continue à entretenir de bonnes relations avec la Russie, les grands pays comme l’Inde, le Brésil ou encore l’Arabie Saoudite, restant prudemment neutres et tirent profit économiquement des sanctions.

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La contre-offensive ukrainienne qui, selon les experts de LCI, ne devait être qu’une formalité, a échoué au prix de dizaines de milliers de morts et de blessés ukrainiens dont des milliers d’amputés qui resteront marqués à vie. C’est une boucherie que les chaînes de télévision refusent de nous montrer mais que l’on peut voir sur Telegram. Chaque avancée d’un kilomètre carré coûte inutilement des centaines d’hommes. En les envoyant sauter en vain sur des mines, Biden et Zelensky se comportent de manière irresponsable. Les mêmes qui se demandent comment on a pu envoyer les poilus à la mort dans des offensives absurdes, refusent de voir qu’il s’agit de l’équivalent moderne des assauts de 14-18. Comme à cette époque, la propagande nous aveugle sur la réalité de cette guerre et les échecs de l’armée ukrainienne. De couteuses offensives sont présentées comme des percées prometteuses avant de retomber dans l’oubli médiatique.

On ne parle plus du pipeline Nord Stream

Sans vision stratégique et sans grands succès tactiques, les lignes rouges militaires (missiles à longue portée, chars, avions de chasse,…) ont été allègrement franchies les unes après les autres. Personne ne s’indigne plus de l’usage par l’Ukraine d’armes à sous-munitions, extrêmement létales, interdites par le droit européen, pas plus que de projectiles à uranium appauvri dont l’impact sur la santé suscite des interrogations. Quant au danger de recours à l’arme nucléaire, il semble oublié. Ksenia Sobtchak, une opposante à Poutine, n’a pourtant pas tort en affirmant qu’il pourrait y recourir. À cet égard, il est heureux que la contre-offensive ait échoué, la question de son utilisation en cas de recul russe perdant provisoirement de son actualité, mais l’Occident ferait bien de se souvenir que la menace nucléaire est toujours bien réelle et qu’une nouvelle guerre mondiale n’est pas exclue. 

Sur le plan géopolitique, l’Union européenne confirme son rang de nain. Elle supporte le poids des réfugiés, l’inflation, les coûts exorbitants de l’énergie et paiera pour la reconstruction de l’Ukraine pendant que les États-Unis font tourner leurs usines d’armement à plein régime et profitent de la hausse des prix du gaz et des céréales. L’Allemagne et l’Union européenne ne semblent nullement pressées de dénoncer les coupables de l’acte de terrorisme international contre leurs infrastructures, les pipelines Nord Stream. Qu’il s’agisse des États-Unis, de l’Ukraine ou des deux, le silence européen à ce sujet est incompréhensible et humiliant. Apparemment, même poser la question serait incongru, comme le montre une vidéo d’un parlementaire belge s’attirant les quolibets de l’assemblée. Où sont les unes indignées des journaux dénonçant ce scandale d’un allié détruisant une infrastructure clé d’un pays ami ?

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Tout cela pour l’Ukraine, un des pays les moins démocratiques de l’Europe, sans presse libre, dominé par des oligarques, réprimant sa minorité russophone depuis le coup d’État de 2014 et détournant les aides massives qu’elle reçoit des contribuables occidentaux. Un pays avec à sa tête un comique vulgaire, qui comme dans la chanson de France Gall « jouait du piano debout » mais avec son sexe, devenu le pantin des Occidentaux et se comportant en véritable autocrate détenteur de tous les pouvoirs. Avec un pays exsangue, de plus en plus vide et aux infrastructures détruites, à l’heure où de plus en plus d’hommes ukrainiens cherchent par tous les moyens à échapper à la mobilisation (et on les comprend, mais ils n’ont pas droit à la compréhension médiatique des fusillés de 1917 !), que sait-on de la volonté du peuple ukrainien de continuer dans cette folle logique guerrière ? Sans minimiser le défi qu’elle représente en pleine guerre et avec plus de 12 millions de déplacés, l’élection présidentielle prévue en mars 2024 aura-t-elle lieu et donnera-t-elle la possibilité à un candidat de la paix de se présenter ?

Hélas, malgré l’échec patent de la stratégie actuelle, l’Occident a été trop loin pour reconnaître son erreur de départ et procéder à un aggiornamento. Il faut donc s’attendre à plus de morts, plus d’armements sophistiqués livrés à ce régime jusqu’au-boutiste, à des prix (surtout de l’énergie) élevés et fluctuants ainsi qu’à une accélération de la perte de l’influence occidentale dans le monde. Rarement, on aura vu des gouvernements européens se moquer à ce point de l’intérêt de leurs propres peuples. Il y a donc peu d’espoir, sauf si l’opinion américaine venait à rejeter massivement le soutien à l’Ukraine, comme elle a en son temps cessé de soutenir des guerres qui se sont toutes mal terminées, au Vietnam, en Irak et en Afghanistan. À bon entendeur…



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