La cruelle imagination de Daesh a culminé ces derniers jours avec la diffusion de la vidéo du pilote jordanien brûlé vif dans une cage. Après la découverte des charniers yézidis, l’EI doit sans cesse rassasier la soif morbide de ses admirateurs et les vidéos se succèdent, chacune plus horrible que les précédentes. Cette fois, ce n’est pas un otage occidental mais l’armée d’un pays arabe qui est touchée. La Jordanie, un pays sunnite qui jouxte le territoire de Daesh, est engagée depuis plusieurs années dans la formation d’opposants au régime de Damas. Elle s’est jointe aux Etats-Unis pour évincer Daesh de l’après Bachar.
L’aviation jordanienne n’a pas tardé à venger son camarade : appuyée par les Emirats Arabes Unis, elle a redoublé de raids aériens. L’université Al Azhar du Caire, souvent décrite comme la plus haute autorité de l’islam sunnite, a appelé à crucifier ces barbares. Dans la rue arabe, l’exécution bestiale du pilote jordanien a provoqué une émotion sans précédent depuis le début du conflit. Elle encourage les gouvernements sunnites de la coalition à accentuer leur effort de guerre contre les troupes cosmopolites d’Al Baghdadi.
Cette nouvelle détermination sunnite ne fait pas les affaires de l’EI. Déjà affecté par une cuisante défaite à Kobané, Daesh recule sur tous les fronts, à Alep, près de Mossoul et dans la province irakienne de Diyala. Mais Daesh ne rompt pas, la retraite progressive se fait en bon ordre. Ce recul est probablement un regroupement tactique avant l’offensive terrestre prévue au printemps en Irak par l’état-major américain. La coalition a repris l’initiative, elle tentera dans quelques semaines de coordonner les forces kurdes, chiites mais aussi l’armée irakienne et les tribus sunnites opposées à Daesh. En Irak, la victoire militaire n’est qu’une question de temps, bien que des poches djihadistes vont sans doute persister à semer la terreur dans les années qui viennent. Le délai de la victoire finale dépend aussi des possibilités de repli de Daesh en Syrie, et donc de la stratégie choisie par la coalition en amont de L’Euphrate.
Or en Syrie, de contre-offensive terrestre, il n’est toujours pas question. Al-Nosra se tient prêt à engranger les fruits des bombardements de la coalition qui se concentre sur Daesh. Ce qui lui permettrait de reprendre sa place de leader du djihadisme international. L’autre alternative crédible à la filiale d’Al-Qaïda, c’est Bachar al-Assad et ses alliés iraniens et chiites libanais. Entre eux et les différentes milices sunnites djihadistes, Jordaniens, Turcs et Arabes ont déjà fait leur choix. Alors que l’exécution de l’otage jordanien était imminente, l’Orient le jour a souligné qu’un prédicateur proche d’Al-Qaïda avait été libéré à Amman. L’objectif des services jordaniens est de discréditer le discours de Daesh en lui opposant celui de son rival Al-Qaïda, jugé plus modéré et plus conforme aux intérêts des États sunnites opposés à Bachar. Des manœuvres de court terme assez hasardeuses lorsqu’on connaît la porosité entre les deux formations.
Combattre l’influence chiite dans le croissant fertile, au centre du Moyen-Orient, est la seule priorité de nos alliés sunnites comme d’Israël. Mais pour l’Europe et les Etats-Unis, quel est l’intérêt de voir ses soutiens dans la région troquer Daesh pour Al-Qaïda ? Alimenter les divisions entre djihadistes ne réglera pas le chaos syrien.
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