Le nouveau film de Christophe Honoré agit comme un gaydar, ce radar qui permet aux homosexuels de se reconnaître entre eux.
Il était prévu que Christophe Honoré monte en 2020 une adaptation du Côté de Guermantes de Marcel Proust avec la troupe de la Comédie-Française, mais patatras, pour cause de Covid, on remet le spectacle sine die, et le metteur en scène multicartes obtient en compensation de tourner une dizaine de jours avec ses comédiens dans le Théâtre Marigny.
Le résultat, sobrement intitulé « Guermantes », n’a que peu à voir avec Proust et semble plutôt le résultat d’une écriture théâtrale de plateau appliqué au cinéma. L’espace de jeu conduit chacun au dévoilement de sa personnalité dans une ambiance danoise à la Dogme de Lars von Trier, « faisons tout ce qu’il nous plaît »… On écrit personnalités pour être poli, car il s’agit bien plutôt de sexualités et de sexualités masculines, très précisément. En gros, Guermantes est l’occasion pour Honoré de jouer à la poupée avec ses comédiens.
Laisser-aller très calculé
Dans une ambiance de laisser-aller très calculé, tout ce petit monde répète, refuse de répéter, fait des crises de nerfs, se vampe, se papouille, se repousse malgré les gestes-barrières. Un grand repas dans les jardins du Marigny se conclut par une soûlographie. L’ensemble de la distribution – ou presque – doit dormir sur place. Avec qui, dans quel état et où ? Binômes ou trinômes improvisent confessions ou jeux de la vérité, séduction et coups de griffes. C’est « Opening night » de Cassavetes dans un internat mixte avec tous les surveillants enfuis.
Autrement dit, « Guermantes » suinte le narcissisme à un degré inégalé dans le cinéma de Christophe Honoré. Plus le film avance, plus se dégage un sexisme au parfum subtil. Tous les acteurs sont définis par leur orientation sexuelle, alors que les actrices le sont par leur abandon de la sexualité. Elles sont l’alibi qui permet le regard homosexuel.
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L’une pleure les amours passées, l’autre nourrit une passion platonique pour l’affolant jeune premier, Sébastien Pouderoux, qu’elle sublime par le dessin (des croquis découverts un matin occasionnant une engueulade). Le très léger surjeu indique bien que tout est faux (comme le jeune giton soi-disant en couple avec Serge Bagdassarian), mais tout pourrait être vrai, puisque les acteurs sont dans leur propre rôle, bourreaux de travail empêchés de jouer et libérant la soupape en chansons, jeux et falbalas.
Christophe Honoré est son seul public !
L’ennui abyssal qui naît du contentement général fait rapidement se concentrer sur la question principale du film : qui est homo, qui ne l’est pas ? La nuit, tous les chats sont gris et les frontières bougent. Guermantes fonctionne à la façon d’un gaydar. Les répétitions impromptues en caleçon deviennent des parades amoureuses. Laurent Lafitte en Cyrano palpe Christian (Yoann Gasiorowski), prenant le texte au mot : « C’est vrai qu’il est beau, le gredin ! ». Le premier en est – soyons proustiens – le second pas. Deux autres acteurs, hétéros (Pouderoux) ou supposés (Stéphane Varupenne), jouent une scène en s’allongeant et en prenant chacun appui sur les cuisses de l’autre, prélude à un 69 avorté avant même qu’il n’ait commencé. Quant aux gays les plus âgés (Bagdassarian, Génovèse), ils s’échangent des perfidies au petit matin. Remarquons que personne ne consomme… Personne ? Pas tout à fait.
Un jeune acteur, les fesses écartées en amorce de plan, discute avec celui qui l’a besogné, et dont la caméra repousse quelques instants la révélation. Stupeur, il s’agit de Christophe Honoré lui-même !!! On savait bien que mettre en scène comportait des avantages, mais quand même… Dans sa lettre de rupture après la sortie de la Nuit américaine, Jean-Luc Godard faisait justement remarquer à François Truffaut que le seul à ne pas baiser de tout le film était le metteur en scène, vaste blague (dans les faits, Truffaut séduisait toutes ses actrices – sauf Adjani). Honoré retourne ici la proposition en s’offrant l’acteur le plus jeune, et il enchaîne sur une scène exaspérante où le reste de la troupe s’en va déguster une unique sole au Ritz, si bien qu’une seule actrice y aura droit devant les autres qui salivent, mastiquant comme si on avait placé un micro dans sa bouche.
Un peu répugnante, la consommation est tout sauf démocratique, et à bien y regarder, « Guermantes » n’est conçu pour aucun public digne de ce nom, mais pour un et un seul : Christophe Honoré.
Tous ces tralalas se finiront dans une extase érotique purement visuelle. L’hétéro Pouderoux se met enfin à nu pour sa fan transie, Anne Kessler, et s’offre à son crayon le temps d’un pataugeage dans une fontaine de parc public, la Dolce Vita sans slip et avec fessier (mais sans plan sur le service 3 pièces, remboursez !)
2h20 pour un nu, c’est beaucoup. L’homme au plateau est enfin devenu Homme au bain, figure privilégiée d’Honoré et titre d’un précédent film-essai un peu moins mauvais, car centré sur une star porno-gay bien incapable de cabotiner. S’il est beau d’avoir des obsessions quand on filme, il est bon aussi d’avoir le talent de les accommoder – talent notoirement absent ici.
Guermantes, de Christophe Honoré, en salles depuis le 29 septembre.
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