Accueil Édition Abonné « Louis XVI était au service de la France, pas sûr que ce soit le cas de nos gouvernants actuels »

« Louis XVI était au service de la France, pas sûr que ce soit le cas de nos gouvernants actuels »

Pour l'historien Patrice Gueniffey, nos gouvernants se sont émancipés de la France


« Louis XVI était au service de la France, pas sûr que ce soit le cas de nos gouvernants actuels »
Patrice Gueniffey - Photo : Hannah Assouline

Pour l’historien spécialiste de la Révolution française Patrice Gueniffey, il existe un pacte égalitaire multiséculaire entre le peuple français et ses dirigeants. En y renonçant, nos gouvernants ont aggravé le ressentiment populaire et se sont émancipés de la France.


Causeur : Les historiens ne cessent d’égrener les différences entre l’agitation révolutionnaire de 1789 et la mobilisation des « gilets jaunes ». D’accord, ce n’est pas du tout la même chose. Mais en termes d’imaginaire collectif, il y a une forte résonance. Et on ne peut pas ne pas rapprocher le ressentiment affiché contre les riches de l’esprit sans-culottes. Finalement, ne serions-nous pas un peu en 1789 ?  

Patrice Gueniffey. Je ne le pense pas, même si quelques ressemblances sautent aux yeux. Comme en 1789, la crise naît d’un problème fiscal, mais sur fond de malaise général, raison pour laquelle un grand nombre de revendications, de plus en plus éloignées des questions initialement posées, se sont exprimées. En 1789, la cause profonde de la crise du système politique était son incapacité à trouver des solutions au problème de la banqueroute financière de l’État. Pour qu’une situation devienne révolutionnaire, il faut la conjonction de plusieurs facteurs : une cause immédiate (la crise économique et financière insoluble), des réformes qu’on ne parvient pas à mener et des institutions qui ne fonctionnent plus, le composant essentiel étant une crise de la légitimité politique.

Pardon, mais tous les ingrédients que vous citez sont là, à ceci près que la crise financière n’est peut-être pas insoluble.

En réalité, du point de vue de la légitimité, notre situation est sans doute plus grave. En 1789, le pouvoir royal n’était pas considéré comme illégitime, si bien que tout le monde attendait encore la solution du roi. D’où le recours aux États généraux. Aujourd’hui, la crise est plus profonde. La grande différence, c’est qu’on ne voit guère d’alternatives au système qui est dénoncé. À la veille de la Révolution, il existait un discours alternatif articulé et même plusieurs projets circulaient.

Macron croyait présider la Ve République, alors que nous en sommes sortis depuis un moment déjà

Était-il question de république ?

Non. Au début, cette option est extrêmement minoritaire. Robespierre reste royaliste trois ans après 1789 ! Il existe de tout petits groupes, comme celui de Condorcet, qui ne sont pas du tout issus du peuple, et défendent l’avènement d’une république. D’autres, au sein du Club des cordeliers, seront les fers de lance de la critique de la représentation. Mais en 1789, tout cela est très minoritaire.

A lire aussi: Gauchet/Gueniffey: Robespierre, le péché originel de la Révolution

En somme, il y a aujourd’hui une sorte d’aspiration révolutionnaire, mais aucun projet révolutionnaire disponible ?

Pour qu’il y ait un projet révolutionnaire, il faut croire à l’avenir, à la possibilité de changer les choses. Le mouvement des « gilets jaunes » illustre au contraire la croyance très répandue et profondément ancrée, aggravée par le catastrophisme écologiste, dans l’absence d’avenir, dans le fait que demain, s’il y a un demain, sera pire qu’aujourd’hui. C’est un mouvement sans perspectives, sinon le « Vivre décemment de notre travail », qui renvoie à un passé proche mais englouti. On prête aujourd’hui aux « gilets jaunes » des revendications politiques, mais elles ont été greffées sur le mouvement, de l’extérieur.

Une autre différence, peut-être la plus importante, est qu’à la fin du XVIIIe siècle, il n’y a ni médias de masse, ni internet, ni réseaux sociaux…

En effet, la circulation de l’information n’était pas instantanée et globale comme aujourd’hui. Et contrairement à nos présidents, le roi ne s’adressait pas à ses sujets. La nécessité de la communication n’existait pas. Cela se faisait par écrit, les gens avaient connaissance des discours par les journaux avec des jours, parfois des semaines de retard. Aujourd’hui, Emmanuel Macron doit, en même temps, apparaître dans


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Janvier 2019 - Causeur #64

Article extrait du Magazine Causeur




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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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