Ancien conseiller spécial de Nicolas Sarkozy à l’Élysée, Hacenri Guaino est député des Yvelines.
Causeur. Vous n’avez pas voté pour votre parti, l’UMP, aux européennes, après avoir publiquement désapprouvé le choix du fédéraliste Alain Lamassoure comme tête de liste en Île-de-France. Que faites-vous encore tous les deux dans le même parti ?
Henri Guaino. Je respecte les convictions d’Alain Lamassoure, mais je ne pouvais pas me résigner à ce qu’elles symbolisent la ligne politique de l’UMP sur l’Europe, ce qui était le cas dès lors qu’il était placé en tête de liste en Île-de-France. Au moins, Nicolas Sarkozy essayait de dépasser les divergences en dégageant une synthèse dans laquelle les différentes sensibilités pouvaient se reconnaître. Beaucoup de militants, de sympathisants et d’élus UMP partagent la même sensibilité gaulliste que moi. Il faut les respecter.
Votre sens du pluralisme vous honore… Mais, en l’absence d’unité et de cohérence idéologiques, à quoi rime encore l’UMP ?
Il y a toujours eu des divisions sur ce sujet au sein de la droite française. Il vaudrait mieux dire : « des droites ». Le débat sur l’Europe a commencé avec la construction européenne elle-même. En 1992, lors du débat sur Maastricht, la direction du RPR regroupée autour de Balladur, Chirac et Juppé a voté pour le « oui » alors que les trois quarts de nos élus et militants disaient « non ». Vingt ans plus tard, les choses n’ont pas tellement changé.
La spectaculaire victoire du Front national aux élections européennes ne change-t-elle pas la donne ?
Dans la politique française, certainement, parce qu’elle aura des conséquences au sein des deux grands partis que sont le PS et l’UMP. [access capability= »lire_inedits »] Mais cela ne changera rien au fonctionnement de l’UE. Le pire serait qu’aucune leçon ne soit tirée et que cela ne change rien nulle part. Dans ce cas, il y aurait du souci à se faire pour la démocratie. Personne ne peut prévoir jusqu’où irait alors la poussée des populismes et des extrémismes en France et en Europe.
Pardonnez-nous d’insister, mais puisque vous rejetez tant les fédéralistes que les populistes, pourquoi n’essayez-vous pas de constituer un grand rassemblement gaulliste ? Sur la question européenne, vous êtes plus proche d’un Dupont-Aignan ou d’un Chevènement que de Juppé et Lamassoure…
On ne crée pas ex-nihilo un parti capable de peser dans la vie politique. Même le général de Gaulle a échoué avec le RPF. Il faut énormément de temps pour qu’une force politique nouvelle s’ancre dans l’histoire et s’impose sur la scène politique. Et puis les amitiés, les habitudes, les souvenirs des combats communs qui cimentent les familles politiques ne s’effacent pas aisément. Le Front national a mis trente ans à émerger sur la scène nationale. Sachant la difficulté de bouleverser l’équilibre partisan, un homme politique qui veut agir doit d’abord essayer de devenir majoritaire dans sa formation politique pour en infléchir la ligne.
On a l’impression que le « politiquement correct » vous contraint à édulcorer vos positions. Par exemple, bien qu’opposé à la construction européenne, vous ne cessez de répéter « Je suis pour l’Europe », comme si vous craigniez de blasphémer. Est-ce moralement répréhensible de se dire opposé à l’Europe ?
Non, c’est simplement absurde : du point de vue de l’histoire, de la géographie, de la civilisation, l’Europe existe et nous en sommes les héritiers. Je me sens profondément européen, solidaire de la civilisation de l’Europe, de sa culture, de son idéal humain. C’est à l’Union européenne telle qu’elle est que je m’oppose, c’est-à-dire à des institutions qui détruisent l’idéal qu’elles sont censées servir. Les institutions ne sont que des institutions. Elles peuvent être critiquées, réformées. Si l’on confond l’Europe et l’UE, si l’on proclame que « l’UE, c’est la paix », on sacralise des institutions qui sont défaillantes et on court à la catastrophe.
On croirait entendre Nicolas Sarkozy ! Dans sa tribune publiée par Le Point, l’ancien président se dit amoureux d’une Union européenne qu’il propose de réformer de fond en comble. N’est-ce pas contradictoire ?
Nicolas Sarkozy éprouve peut-être pour l’Europe un amour plus passionné que le mien. Mais, au-delà des mots et de quelques questions de détail sur les pouvoirs de la Commission européenne, nous partageons la même démarche. Il faut effectivement tout changer, réformer Schengen, mais aussi que les États reprennent des compétences à Bruxelles. Ce monstre bureaucratique ne peut pas continuer à étouffer les démocraties nationales.
En attendant, on dirait que l’Europe est une religion. Et comme la foi ne se discute pas, il semble toujours aussi impossible qu’en 2005, ou même en 1993, d’avoir un véritable débat…
S’il n’y a pas de débat, il y aura une grave crise de la démocratie : on ne peut pas continuer à élire des gens qui, le lendemain des élections, proclament qu’ils ne peuvent rien !
Quelles sont les responsabilités politiques respectives des médias et des partis politiques dans la diffusion de la doxa européiste ?
La « doxa européiste », comme vous dites, n’est qu’une pièce du grand puzzle de la pensée unique politique et médiatique qui rejette hors du « cercle de la raison » tout ce qui ne s’accorde pas avec elle. Ce politiquement correct qui ne cherche qu’à exclure et à disqualifier devient insupportable pour un nombre de plus en plus grand de Français parce qu’il exprime un « entre-soi » imperméable aux aspirations et aux difficultés des gens, à ce qu’ils vivent, à ce qu’ils ressentent. Les médias ont leur part de responsabilité parce qu’ils n’offrent plus d’espace propice aux discussions de fond, parce qu’ils sont désormais davantage dans la réaction que dans l’information, parce qu’ils nourrissent, bon gré mal gré, le « Tous pourris ! ». Tout le monde joue avec le feu.
Vous avez déposé, le 16 mai, une proposition de résolution à l’Assemblée réclamant la suspension des poursuites judiciaires engagées à votre encontre pour « outrage à magistrat ». Certains y voient une tentative de vous soustraire à la justice. Que leur répondez-vous ?
Cette réaction démagogique est l’exemple type de ce qui nourrit la crise de la démocratie. La procédure de suspension des poursuites est prévue par la Constitution. C’est une très ancienne tradition républicaine utilisée sous la IIIe, la IVe et la Ve République. Si la proposition était adoptée, elle suspendrait les poursuites pour seulement quelques jours, jusqu’à la fin de la session, le 30 juin ! Aucune protection, donc. C’est un acte symbolique pour que l’Assemblée se prononce sur l’exercice de la liberté la plus fondamentale dans une démocratie : la liberté d’expression, et d’abord celle des parlementaires qui ont mandat de parler et d’agir au nom des citoyens. Les mêmes qui critiquent devraient se souvenir qu’il n’y a pas longtemps ils criaient : « La caricature plutôt que la censure ! ».
Depuis les aveux télévisés de Jérôme Lavrilleux, proche de Jean-François Copé qui fut directeur adjoint de la campagne de Nicolas Sarkozy en 2012, sur le surfacturage de certains meetings, la crise est ouverte à l’UMP. Aux différends idéologiques et aux dissensions entre copéistes et fillonistes, s’ajoute un scandale financier. L’UMP peut-elle y survivre ?
Aujourd’hui l’UMP est dévastée. Elle a l’avenir que voudront lui construire ses élus, ses militants et les électeurs. Si toutes les sensibilités réunies au sein de l’UMP veulent vivre ensemble, travailler ensemble et faire de leur diversité une richesse, alors l’UMP aura un avenir. Il est vrai que cette diversité a besoin d’un ciment. Ce ciment ne peut pas être le centrisme mais plutôt quelque chose qui s’inspirerait du Gaullisme, c’est-à-dire d’une volonté, non de trouver un juste milieu mais de dépasser les clivages.
Quant à moi, je suis déterminé à tout faire pour changer ma famille politique de l’intérieur. Mais il faut être bien conscient de ce qui se joue: la disparition de l’UMP laisserait un trou béant entre un Centre fragilisé et un FN triomphant. C’est ce qui arrivera si nous abandonnons l’Etat, la République, l’autorité, la question nationale et la question locale au FN. L’UMP a besoin de se reconstruire moralement et intellectuellement avant de se préoccuper de ses alliances.
Le moins que l’on puisse dire c’est qu’il y a du travail. Une fois de plus c’est l’élection présidentielle qui sera décisive. [/access]
Photo : Hannah
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