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« Griselda », une mini-série d’Andrés Baiz, sur Netflix


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Sofía Vergara dans "Griselda", 2024 © Netflix

On reproche à la nouvelle série de Netflix Griselda d’être complaisante avec la violence. Une critique qui n’est pas juste, selon notre chroniqueur


Les pèlerins du bien en seront pour leurs frais : Griselda Blanco n’est pas précisément un parangon de vertu. Dans la ligne (si j’ose dire) des séries (visibles sur Netflix) Narcos (2015) puis Narcos : Mexico (2021), le fringant cinéaste originaire de Cali, Andrés Baiz, 49 ans, spécialiste du thriller latino horrifique, a confié le rôle-titre de sa nouvelle série à la star américano-colombienne Sofia Vergara. Elle en est également productrice exécutive.

Concurrente d’Escobar

Voilà donc, en six épisodes -à mater bien accroché aux accoudoirs de son fauteuil-, Griselda, dont s’il faut en croire la citation de Pablo Escobar placée en exergue du film d’ouverture, la femme qu’on surnommera « la marraine » ou « la veuve noire » est, dit-il, « le seul homme dont j’ai toujours eu peur ». Figure pionnière du marché de la dope, l’impitoyable « reine de la coca » telle qu’incarnée ici par la flamboyante vedette d’Hollywood n’a pas acquise la dimension mythique du sicaire de Medellin. Quoiqu’il en soit, concocté par une bonne dizaine de scénaristes, le script s’empare de ce destin fuligineux sans craindre d’y instiller, pour les besoins de la fiction, quelques infidélités aux faits réels. Notez qu’en 2012, le journaliste José Guarnizo a publié La patrona de Pablo Escobar, biographie de la vraie Griselda Blanco. Chacun son travail.

Car peu importe l’exactitude : au-delà de leur remarquable efficacité sur le plan de l’action comme des dialogues, ces six heures de cinéma de divertissement rythmées sans temps mort investissent l’époque des années 1970-1980 avec une opulence décorative et vestimentaire en tous points convaincants d’un bout à l’autre. Dios mio, ces faciès ! Ce vestiaire (d’une séquence à l’autre, Griselda ne porte jamais les mêmes fringues) ! Ces bagnoles ! Ces bicoques, ces motels, ces claques, ces boîtes de nuit ! Reconstitutions impeccables.

Jalonnant un bon nombre d’allers-retours hauts en couleur de Medellin à Long Beach, en passant par Miami ou les Bahamas, une bande-son sensationnelle ressuscite, tout du long, une flopée de morceaux insérés avec esprit dans la trame du récit  – de Joe Dassin à Umberto Tozzi (Gloria), de Charanga Sencacion (Charanga Pa’Gozar) à Grand Pa (Ou La La), de Gainsbourg à Bowie (Let’s Dance) et j’en passe…

Flippante

Quant au personnage de Griselda, sous ses dehors de mère attentive à protéger l’innocence de ses trois garçons Ozzy, Dixon et Uber, plus l’enfant qui naîtra de son remariage avec son ex guardaespaldas, l’appétissant sicario latino Dario Sepulveda, (excellemment interprété par l’acteur cubain Alberto Guerra, déjà présent dans la saison 3 de Narcos : Mexico), la bouchère sanguinaire et sans scrupule, la femme d’affaire ivre de pouvoir, la vengeresse sadique et, pour finir, la paranoïaque camée au crack s’autodétruisant de façon pathétique dans un jeu de massacre digne de Shakespeare, rien de ce qui constitue sa nature fondamentalement flippante ne nous est masqué.

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Corps démembrés, décapités, brûlés vifs, tranchés à la machette, tronçonnés, étranglés – furtivement, sans y insister outre mesure, quelques séquences pas piquées des hannetons donnent la mesure de ce que la lionne est capable de sacrifier à son hubris : après avoir occis en secret le géniteur taré de ses trois fils (lesquels continuaient de le croire en voyage), l’ancienne hétaïre en fuite à Miami avec pour tout viatique son sachet d’1kg de blanche sous emballage plastique, renoue avec sa copine, honorablement reconvertie quant à elle en honnête voyagiste (leur relation finira très mal, cf. épisode 6), et démarre son business en imprimant des billets d’avion à destination d’une brochette de mules parties de Medellin, « putas perras »(sic) aux lourdes mamelles chargées de poudre dans la doublure de leurs sous-tifs, direction Miami. Entrée en matière d’une guerre des gangs dont les comparses crèveront les uns après les autres, ou ne devront leur sursis (très provisoire) qu’à la chance ou au retournement de veste.

Juteux

En parallèle, le film suit les difficiles progrès de June, aux US, jeune inspectrice peinant à convaincre sa hiérarchie qu’une faible femme, et non un homme, est à la tête du trafic et la seule commanditaire de cette hécatombe.

Griselda, d’épisode en épisode, intègre en arrière-plan le contexte géopolitique du temps. Telles par exemple les circonstances qui permettront à la « patronne » d’inonder de cocaïne les nantis de la côte Ouest, audacieusement fournis, à perte, par une noria de jeunes « marielitas  », ces filles de mauvaise vie embarquées depuis le port cubain de Mariel pour un exode sans retour en Floride, lorsque Fidel Castro, en 1980, expulsa près de 125 000 « contre-révolutionnaires »… Étape cruciale dans le plan de carrière de madame Blanco, liée à l’extension du marché addictif aux sphères privilégiées de la société nord-américaine. De l’ascension à la chute, il s’écoulera une dizaine d’années. Le dernier épisode, Long Beach, est vertigineux.

Pour mordre à pleines dents dans ce fruit plutôt juteux, il est essentiel d’y goûter dans la version VO sous-titrée : un des régals de la série consiste en son caractère polyglotte. Le bilinguisme anglais-espagnol des comparses préserve même la saveur de leurs accents autochtones – une des gâteries supplémentaires de Griselda. Il se trouvera toujours des grincheux bien-pensants pour taxer la série de complaisante dans son approche de la violence liée à « la drogue-ce-fléau ». Que répondre à ce genre de procès d’intention ? Divertissement n’a pas fonction d’avertissement. Au reste, l’épilogue sauve la morale : Griselda est grillée.  

La Patrona De Pablo Escobar

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Griselda. Mini-série d’Andrés Baiz. Avec Sofia Vergara. Colombie/ Etats-Unis, couleur, 2023.

Durée : 6x 1h. Sur Netflix depuis le 24 janvier 2024




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