De pandémie, la grippe H1N1 a été rétrogradée en polémique, la menace déclassée en farce avec comme seule consolation l’espoir d’une éventuelle promotion au prestigieux et convoité statut d' »affaire ». En tout cas, il est presque certain aujourd’hui que la dangerosité du virus a été largement surestimée. Si l’heure des comptes n’a pas encore sonné, les décisions publiques sur ce dossier sont déjà vertement critiquées.
Beaucoup de pays et l’OMS elle-même ont, comme la France, pris le virus trop au sérieux. Sauf qu’à cette erreur d’analyse, le gouvernement français en a ajouté une deuxième en sur-réagissant. À la lumière des mêmes données, d’autres gouvernements ont pris des décisions beaucoup plus prudentes. Résultat, la France qui représente à peu près 1% de la population mondiale possède des stocks importants de Tamiflu (médicament censé traiter les symptômes grippaux mais dont l’efficacité est mise en doute) et a commandé 10 % des vaccins produits dans le monde. Enfin, à ces décisions problématiques s’est ajoutée l’organisation d’une campagne de vaccination dans des centres spécialement créés à cet effet et non par les médecins généralistes.
Dans ces conditions, la confiance dans la capacité de l’Etat à gérer une crise est sérieusement entamée. Nombre de citoyens se disent qu’ils ont eu raison de donner tort au gouvernement. Prêts à lui intenter un procès en passivité il y a quelques semaines ils sont aujourd’hui décidés à l’inculper pour suractivité et gaspillage des deniers publics.
Si procès il y a, il faut qu’il soit équitable. Pour juger les décisions prises pendant l’été et l’automne, il faut commencer par se demander de quelle information disposaient les décideurs (et notamment la troïka Bachelot-Fillon-Sarkozy) au moment où ils ont fait les arbitrages majeurs. Que savaient-ils du virus et du risque de pandémie ? Quelles propositions leur avaient concocté les fonctionnaires des différents ministères et agences compétents ?
L’essentiel est pourtant ailleurs. Au-delà des problèmes de santé publique, toute cette affaire de grippe A pose la question du « risque » et de son acceptation ou plutôt de son refus. « Délivrez-nous du risque », voilà ce que les citoyens demandent à leurs gouvernants. C’est peut-être de cette illusion-là que nous guériront les vaccins inutiles.
Aujourd’hui, la gestion de certains risques, liés notamment à l’environnement et à la santé publique doit se faire à l’enseigne ou plutôt sous la menace du « principe de précaution ». La définition la plus claire de ce principe se trouve dans la loi Barnier du 2 février 1995 : « L’absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l’adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l’environnement à un coût économiquement acceptable. » Il suffit de remplacer « environnement » par « santé publique » et on voit la nasse dans laquelle est enfermé n’importe quel ministre face à une épidémie annoncée à grand renfort de tam-tam. Qu’il ne fasse rien ou qu’il agisse, il a de fortes chances d’être coupable.
De plus, derrière une apparence de clarté, ce texte est aussi ambigu qu’un verset des saintes écritures. Que signifient, s’il vous plaît, des mesures « effectives et proportionnées » ou encore un coût « économiquement acceptable » ? La proportionnalité d’une mesure (en l’occurrence l’achat de vaccins) et l’acceptabilité de son coût sont justement sujettes à débat. En fonction du contexte, la même décision peut être qualifiée de bonne, d’erreur légitime ou de faute.
Si madame Bachelot a acheté des montagnes de vaccins, ce n’est pas parce qu’elle est vendue aux trusts pharmaceutiques mais parce que nous ne voulons plus courir le moindre risque. Baignés dans une culture d’assurance, nourris au sein de l’Etat-providence, nous voulons vivre dans le Palais de cristal de Peter Sloterdijk. Dans ce monde dont l’homme occidental a expulsé la mort, chaque changement de notre routine climatisée et aseptisée est considéré comme un accident. Mais certains risques nous effraient plus que d’autres. Je connais personnellement plus de personnes qui se méfient des requins que du sucre, même si les squales sont beaucoup moins dangereux que le diabète.
Dans notre grande salle de gym nous ne savons plus apprécier la nature et l’intensité des menaces. Un rien nous effraie. Il serait assez malvenu de reprocher au gouvernement sa gestion de crise car elle est parfaitement raccord avec le conte de fées que nous lui demandons de nous raconter.
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