Ma guerre en short. La chronique de Cyril Bennasar
Chez Praud l’autre soir, les images de Grigny confiné mais en feu tournaient en boucle dans le fond du décor. On y voyait des émeutiers à l’offensive, des feux d’artifice dirigés contre la police, des voitures en flammes et des forces de l’ordre qui, selon la formule de Linda Kebab, se plaçaient « en position de sécurité », reculaient pour éviter l’affrontement, se mettaient à l’abri. En duplex, la représentante du syndicat policier qui avait fourni les vidéos faisait remarquer que les médias « mainstream », habituellement fort zélés à faire la lumière sur les violences policières avaient très peu informé sur les violences subies par les policiers ce soir-là.
La peur n’est pas dans le camp que vous croyez
Soucieuse de rétablir un équilibre dans l’information, la syndicaliste policière intervenait à la télé pour nous faire savoir que les policiers aussi sont des victimes, pour nous dire que les professionnels censés garder la paix et maintenir l’ordre n’ont pas le monopole de la violence, et pour nous montrer une police inoffensive, qui face à des bandes de petits merdeux incendiaires, recule, contient, mais ne contre-attaque jamais. Déjà à Grigny il y a quelques années, des policiers ont failli brûler dans leur voiture incendiée plutôt que de tirer dans le tas de leurs assaillants pour sauver leur peau. Même en état de légitime défense, même en danger de mort, le policier a la main qui tremble au moment de saisir son arme.
Grigny cette nuit, pompiers et policiers piégés, caillassés, cibles de mortiers.
La raison : rejet du confinement pour maintenir le trafic de stups. Des journaux palabrent répression dans les quartiers. Nous, nous témoignons de loi de caïds sur les habitants. #confinementjour26 pic.twitter.com/MreWcioWmv— Linda Kebbab (@LindaKebbab) April 11, 2020
La répression a si mauvaise presse que la police choisit de se montrer maltraitée plutôt que maltraitante et préfère apparaitre impuissante plutôt que blessante. Au lieu de nous faire savoir qu’elle fait son boulot, la force publique nous signale qu’elle y renonce quand ça devient dangereux. On peut être inquiet quand des gens censés s’interposer entre nous et les barbares ont l’air d’avoir appris d’abord et surtout à ne pas tirer. Évidemment, il arrive encore que des policiers dégomment un déséquilibré qui les agresse avec un couteau et un cri de guerre islamique mais cela relève plus de l’assistance au suicide que d’une véritable répression.
Nostalgie de la peur du gendarme
Toutes ces images de flics sur la défensive finissent par avoir un effet désastreux sur le moral, et quand la réalité devient déprimante, quand le laxisme n’inspire plus que désespoir et dégoût, on se prend à fantasmer une police répressive. On devient nostalgique de l’époque où la peur du gendarme inhibait le voleur comme la peur de la bavure inhibe aujourd’hui le gendarme et on se souvient de ces temps pas si lointains où l’on ne laissait pas impunis les affronts, les injures, les outrages faits à une police républicaine mandatée par des élus du peuple. On se met à rêver à une reconquête des territoires perdus, à la mode coloniale, avec tambours et sans hésitations, avec trompettes et sans scrupules, et si l’on projette les méthodes (discutables) et les succès (discutés) de nos aïeux sur les réalités d’aujourd’hui, on se surprend à fantasmer les vainqueurs de la bataille d’Argenteuil, de Grigny ou de la Courneuve posant fièrement pour la photo de la victoire, le menton haut, les moustaches triomphantes, les bras croisés et le pied droit posé sur un tas de cadavres de racailles.
Sans réhabiliter ces déplorables excès, on peut se souvenir de toutes ces victoires remportées contre la délinquance ou le crime quand on les combat. On pense à ces pompiers corses qui ont la paix depuis que des citoyens sont descendus dans la rue pour les défendre après un guet-apens en menaçant leurs agresseurs, non pas de poursuites judiciaires mais de passages à tabac. On repense à ces commerçants aux Pays-Bas dans les années soixante-dix, qui, excédés par des voleurs récidivistes parce qu’impunis ou pas assez punis pour être dissuadés, avaient embauché des mercenaires pour rendre la justice une bonne fois pour toutes, lesquels avaient rempli leur mission à l’issue d’une bataille rangée, en transformant la bande de délinquants en une bande de bras cassés, au sens propre. On se rappelle aussi que Mussolini avait, à coup d’exécutions sommaires et en moins de temps qu’il n’en faut à nos États de droit pour le dire, réglé le problème immémorial et soi-disant insoluble, de la mafia. On repense à la façon dont certains régimes autoritaires traitaient des minorités timorées qui ne demandaient qu’à se faire oublier, comme le tsar de Russie qui déclarait vouloir appliquer aux juifs de son empire la règle des trois tiers : en éliminer un tiers, en déporter un tiers, en convertir un tiers. Et on se dit en voyant la façon dont certaines de nos minorités se comportent, que les leçons que l’on a retenues du passé ne sont peut-être pas les bonnes.
La honte et le désespoir font le lit de qui vous savez
Après des décennies d’un laxisme et d’un excusisme qui ne parviennent plus à masquer la lâcheté de nos dirigeants, complexés par je ne sais quelle culpabilité post-coloniale et tremblants devant les journalistes droit-de-l’hommistes et fouilles-merde de Libération ou du Monde, on en arriverait presque à regretter ces solutions cruelles, liberticides et définitives aux problèmes d’insécurité qui se sont posés autrefois. On peut, sans aller jusqu’à regretter je ne sais quel fascisme et en restant résolument républicains, regarder en face, comme on le fait pour se défendre contre la pandémie, ce qui a marché ailleurs. Ce qui est sûr, c’est que toutes ces années honteuses et désespérantes à espérer qu’un populisme éclairé et humaniste éteigne les feux et neutralise les incendiaires, auront été plus utiles à nous faire comprendre la montée des fascismes et les origines du totalitarisme que les essais nombreux et volumineux de tous les historiens.
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