On dépense beaucoup d’encre et de salive dans des débats excités visant à déterminer si les journalistes sont hostiles ou favorables à la grève des cheminots.
On a même inventé l’atroce terme de « grève-bashing ». Les médias à qui l’on fait ce procès répondent qu’il s’agit là d’un honteux média-bashing. Le bashing rejoint donc officiellement les phobies dans la catégorie: criminalisation débile des oppositions.
Le Huffington Post a réalisé une compilation de propos tenus par des personnalités très à gauche, critiquant le traitement médiatique de la grève. Inséré au milieu de ces citations, l’extrait du reportage de BFMTV (voir à 0:35) est assurément accablant.
Lors d’un micro-trottoir, l’autre jour, un monsieur expliquait sans honte : « mon épouse et moi-même étions plutôt opposés à cette grève, mais nous avons réussi à avoir notre train alors finalement, on les soutient ». On peut trouver cela affligeant mais je crois que ce type de positionnement totalement égoïste se retrouve dans l’attitude de bien des gens. Ils ne se demandent pas s’ils sont favorables à cette grève, à ses motivations, à ses moyens, éventuellement aux unes mais pas aux autres. Ils formulent leur jugement en fonction de l’impact que le mouvement a sur leur quotidien.
On nous parle des sondages : un Français sur deux soutiendrait le mouvement de grève. Pour être véritablement intéressants et susceptibles d’interprétations pertinentes, ces sondages devraient faire apparaître si les personnes interrogées sont, ou non, directement concernées par cette grève. Parmi les personnes qui prennent régulièrement le train, tant sont favorables au mouvement et tant ne le soutiennent pas. Parmi les personnes qui ne prennent jamais le train, tant sont favorables au mouvement et tant ne le soutiennent pas. Il est facile de soutenir un mouvement dont on ne ressent aucun effet. Il est très difficile de ne pas manifester hostilité et agacement face à une grève qui perturbe totalement votre organisation personnelle. Mêler les deux points de vue ôte toute pertinence à l’enquête d’opinion.
Lisez la version originale de cet article sur le blog d’Ingrid Riocreux.
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