Marseille encore une fois croule sous les poubelles. Mais les pires ordures sont-elles bien celles qui s’accumulent, ou ceux qui sont censés s’en occuper ? Et quand un syndicat n’est plus qu’un groupe de pression, faut-il encore le subventionner ?
Pendant que la France se préoccupe de la cinquième vague d’un virus avec lequel il va bien falloir s’accoutumer à vivre (les Catalans, qui sont arrivés plus vite à cette conclusion, viennent de supprimer le passe vaccinal), Marseille croule sous la troisième vague — en cinq mois — des ordures laissées sur place par les éboueurs Force Ouvrière. Ces derniers ont refusé de signer le dernier accord accepté mi-décembre par la CGT et les autres syndicats minoritaires. FO veut désormais le beurre, l’argent du beurre et le cul de la crémière.
Heureux rats marseillais
Soyons précis : la perspective de travailler 30 heures, dans une France qui en fait 35 en théorie et 39 en pratique, les défrise sérieusement. Car c’est à 30 heures que le dernier accord a ramené la durée hebdomadaire de travail — à des années-lumière des obligations professionnelles des ripeurs européens, Allemagne exceptée.
En attendant, comme dit fort bien l’humoriste Haroun, les goélands et les rats de Marseille profitent à plein de cette inflation des déchets et sont les seuls nuisibles de France à afficher un taux excédentaire de cholestérol… J’avais écrit en 2013 une tribune pour célébrer le sort enviable des rongeurs marseillais. Aujourd’hui, ce n’est plus une rente de situation, c’est une sinécure à vie, que Force Ouvrière, en défense sans doute de nos amis les bêtes, s’emploie à perpétuer.
Une situation inacceptable
FO domine la vie marseillaise depuis six décennies. Gaston Defferre co-dirigeait la ville avec le lui, et consentait régulièrement à des recrutements d’employés municipaux inutiles, qui fournissaient des troupes fraîches au syndicat majoritaire : l’Histoire nous apprend ainsi que les syndicats — par exemple ceux de l’Éducation — qui réclament sans cesse « des moyens » et « des postes » confondent allègrement le quantitatif et le qualitatif parce qu’ils y ont intérêt.
FO n’a d’ailleurs pas bronché lorsque Rubirola a été élue maire : cet État dans l’État savait bien que l’élue écologiste ne ferait que quinze jours de figuration, et qu’elle laisserait les clés de la ville, sous un prétexte risible (les problèmes de santé invoqués alors ne l’empêchent pas d’assister sereinement à toutes les séances du conseil municipal), à un apparatchik du PS nourri aux larges mamelles de Jean-Noël Guérini : né à Calenzana comme jadis Antoine Guérini, homme de main de Defferre et truand à part entière, il a, malgré des condamnations successives et par la grâce d’appels suspensifs, conservé son poste de sénateur.
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Peut-être faudrait-il commencer à s’interroger sérieusement sur le devenir du syndicalisme en France. Lorsque des organismes créés en théorie pour défendre les intérêts des travailleurs s’emploient désormais à privilégier leurs intérêts propres, faut-il encore consentir à leur verser des subventions qui alimentent la paresse des uns et le désarroi des autres — tous les Marseillais, commerçants ou autres, qui pâtissent aujourd’hui de cette situation inacceptable et pourtant acceptée ?
Quant à la Communauté de communes ou la Région dont dépend le ramassage des ordures, elle est manifestement peuplée de foies jaunes. Qu’est-ce qui empêche vraiment d’avoir recours à la force publique pour dégager les garages et entrepôts dont partent chaque matin les bennes à ordures ?
Une loi de 1791
En 1791 fut votée la loi Le Chapelier, qui interdisait toutes les associations professionnelles et autres groupes de pression opposés à la libre entreprise. Napoléon réactiva cette loi, qui perdura, avec des hauts et des bas, jusqu’à ce que la IIIe République et Waldeck-Rousseau y mettent fin en 1884.
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De cette abrogation est née la puissance syndicale moderne, dont je ne nie nullement qu’elle contrebalança durant plusieurs décennies la puissance patronale, mais qui avec le temps est devenue une sclérose, et, dans le cas de FO à Marseille, un gang se partageant les avantages en espèces comme en nature : combien de permanents syndicalistes sont payés à ne rien faire ?
Je crois que je voterai pour le premier candidat qui aura le bon sens de se prononcer pour la suppression de toutes les subventions versées à des organisations qui n’œuvrent pas pour le bien public — ou qui, comme c’est le cas pour la presse française, tirent de ces subventions l’essentiel de leurs bénéfices, et crouleraient sans ces aides indues. Est-ce que le New York Times ou le Washington Post sont financés par l’État fédéral ?
La situation marseillaise n’est aujourd’hui supportable que parce qu’il fait encore frais — quoiqu’il fasse grand beau. En période de fortes chaleurs, les grèves des éboueurs posent en quelques jours un problème grave de santé publique. Alors sans doute les masques anti-Covid ressortiront pour nous protéger des remugles. Mais qui nous protègera de la peste syndicale ?