Où sont passées les groupies françaises de Tsipras et Varoufakis ? J’ai beau tendre l’oreille, je n’entends plus leurs clameurs dans les médias et la bouche des politiques. À peine ai-je trouvé une dame qui, sur le site du Figaro, vantait le courage de la petite Grèce luttant contre toute l’Europe. C’est le syndrome Kerviel, le petit a forcément raison contre le gros, même si le petit est un escroc et le gros une institution plutôt respectable. Vraiment très puéril.
Rarement emballement médiatique aura à ce point ressemblé à un tsunami. Même le présentateur-vedette des Experts sur BFM TV Business (haut-lieu du libéralisme économique, et dans ma bouche, c’est un compliment) s’est laissé bluffer. Et que dire de la classe politique ?! De Mélenchon à Marine Le Pen, ils sont nombreux à avoir célébré la victoire de Syriza aux élections législatives grecques. Des animaux de tout poil et de toutes plumes ont glapi de joie dans les forêts médiatiques.
Rarement emballement médiatique aura paru plus frelaté. La raison profonde et inavouable de leur succès : les deux Grecs sont plutôt beaux gosses et ne portent pas de cravate ! Comme pour Laurel et Hardy, il y a un léger décalage dans leurs physiques avantageux, décalage qui leur permet de ne pas faire double emploi. Tsipras est plutôt le gendre idéal qui a jeté son bonnet par dessus les moulins. Visage de beau maffioso sicilien, costume et chemise sombres, mais pas de cravate. L’absence de cravate est un signe infaillible de la profondeur et de l’infaillibilité des idées économiques. Varoufakis, c’est plutôt le motard hyperviril qui réussit la synthèse entre veste de cuir et chemises originales et luxueuses. Il a dû faire rêver beaucoup de dames et pas mal de messieurs. On comprend bien qu’avec autant de sex appeal, ils ne peuvent qu’avoir raison : la Grèce est victime non pas de la lamentable gestion et du clientélisme délirant de sa classe politique, mais de la méchante Europe. On se demande ce que Barack Obama attend pour nommer Ryan Gosling secrétaire d’Etat au Trésor.
Contre le couple Dean Martin et Jerry Lewis, il y a les Allemands. Vous savez, les Allemands, ce peuple barbare et cruel qui depuis la nuit des temps martyrise ses voisins européens (les Français oublient toujours que Louis XIV ravagea le Palatinat façon Gengis Khan). Vous savez les Allemands qui ont tant pillé la Grèce pendant la Seconde Guerre Mondiale et qui ne doivent pas échapper à leur statut éternel de Coupables par essence. Eh bien les Allemands sont représentés par un couple pas du tout sexy, qui, à cause de son look vieillot, est totalement incapable d’idées économiques novatrices. Une brave dame mûre, les joues tombantes autant que les poches sous les yeux, et un septuagénaire paralytique, qui a des airs de prof si sévère qu’il vous donne des cauchemars où vous cherchez désespérément à vous souvenir des verbes forts et des pluriels irréguliers de l’allemand. Non, mais franchement qui voudrait coucher avec Wolfgang Schaüble, sinon une assistante sexuelle pour handicapés comme il y en a en Suisse ?
Depuis trois mois, le couple de playboys a fait plusieurs fois le tour de l’Europe, demandant beaucoup d’argent sans offrir autre chose que de vagues promesses de rentrées d’argent aléatoires, sans jamais signer une liste de réformes précises. Ils ont fait preuve d’une imagination sans borne, comme ces petits escrocs qui entrent chez une vieille dame et la soûlent d’arguments irrésistibles pour lui extorquer le code de sa carte de crédit. Tsipras et Varoufakis ont ainsi demandé un prêt qui ne serait remboursable que si la Grèce avait des taux de croissance suffisamment positifs. Et ta grand-mère, elle fait du vélo ?
Depuis quelques jours, les duettistes jouent un jeu beaucoup plus dangereux. Tsipras s’est rendu à Moscou pour obtenir de l’argent et la permission d’exporter à nouveau ses aubergines et ses pêches en Russie. Vladimir Poutine va sans doute accepter, et le prix en sera la trahison de l’Europe par la Grèce. Ah bravo, les playboys d’extrême-gauche ! Les Européens se saignent aux quatre veines pour financer les folles dépenses hélléniques, les treizième et quatorzième mois des fonctionnaires, les pensions des faux aveugles qui peuplent l’île de Zakynthos, et en remerciement les Grecs prennent le parti des Russes à propos de l’Ukraine. Encore plus pitoyable : en faisant feu de tout bois pour remplir leurs caisses vides, ils ressuscitent le nationalisme le plus abject du XXème siècle, celui qui a produit deux guerres mondiales, celui que la construction européenne de Jean Monnet avait pour but de bannir à jamais. Nous voilà grâce aux duettistes face à une ligne de fracture entre l’Europe orthodoxe et l’Europe catholico-protestante, fracture qui n’existait plus depuis le Moyen-Âge ! C’est ça, l’extrême gauche, une machine à réactiver les vieilles guerres de religions ? Encore bravo !
Pour comprendre la vision erronée de la Grèce par les Européens, il faut lire l’interview de Nicolas Bloudanis dans L’Opinion du 30 mars. Depuis le XIXème siècle, les Européens fantasment la Grèce moderne comme la continuation légitime de la Grèce antique, berceau de notre civilisation et de notre démocratie. Et pour ce berceau-là, ils ont toutes les indulgences. En réalité la Grèce a subi une très longue occupation turque qui lui a légué une vision ottomane de l’Etat : les finances publiques, dès lors qu’elles n’ont plus été alimentées par les pillages des soldats du sultan, ont été incapables de lever les impôts de manière régulière et efficace, elles n’ont trouvé d’argent que par des emprunts hasardeux.
Mais comment comprendre l’enthousiasme français pour les solutions d’extrême-gauche (j’inclus naturellement le Front national et les frondeurs du Parti socialiste dans cet enthousiasme) ? Comment comprendre cet enthousiasme pour l’anti-réalisme militant ? Comment comprendre que le rêve éveillé séduise plus que la raison ?
*Photo : MESSINIS FILIPPOS/SIPA. 00705401_000005.
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