Finalement, l’année se termine bien. Avec une nouvelle aussi bonne qu’une bouteille de muscadet Amphibolite de Landron sur une douzaine de Prat-Ar-Coum : il va y avoir des élections législatives en Grèce, probablement le 25 janvier. Quoi de plus normal me direz-vous car, comme moi, vous êtes démocrate, n’est-ce pas ? C’est bien mal connaître l’atmosphère idéologique qui règne en Europe, ou plutôt dans les cercles dirigeants de l’Union Européenne ou de l’Allemagne, ce qui revient sensiblement au même par les temps qui courent. Des élections, on en veut bien en Europe à condition que ce soit les libéraux qui les gagnent ou les sociaux-libéraux, voire des grandes coalitions des deux, ce qui provoque en général des soupirs orgasmiques chez les commentateurs autorisés qui sont convaincus de l’excellence des politiques austéritaires comme un Concile médiéval était convaincu de l’excellence de la Sainte-Trinité.
La Sainte Trinité de l’Union européenne, on le sait, s’appelle la Troïka et la Troïka est constituée non pas du Père, du Fils et du Saint-Esprit mais du FMI, de la Commission et de la BCE qui ont finalement, eux aussi, une existence qui devrait être l’objet de disputes purement théologiques mais hélas suscite très concrètement des ravages économiques, politiques et sociaux sans précédent dans les pays sur lesquels elle exerce son magistère. C’est que la Troïka tient aussi du médecin de Molière. Elle ne connaît que la saignée, même pour les malades anémiques. Ainsi, lorsque la Troïka a provoqué l’hystérie sur la dette souveraine grecque dès 2008, celle-ci venait de dépasser le seuil des 200 milliards d’euros. La Commission Européenne et le FMI ont alors imposé au pays des cures d’austérité sur cure d’austérité, ce qui, plutôt que de réduire la dette, l’a fait exploser. On connaît le cercle vicieux : baisse des recettes, baise de l’activité, chômage de masse, hausse effrayante des dépenses sociales. En fait, au lieu d’en terminer avec les créances grecques, l’austérité a multiplié par 2 la dette en 3 ans. Même en adoptant la logique cannibale de la Troïka, sa politique est doublement absurde: le FMI a accepté de prêter en tout 240 milliards d’euros à la Grèce, ce qui aurait pourtant largement suffi à éponger ce qui était réclamé en… 2008. Bref, ne cherchez plus le prochain Kafka, il est en train d’écrire un grand roman quelque part dans la nouvelle tour de la BCE, celle à 1, 2 milliards d’euros.
Sur un plan démocratique, il a été très clair, très vite que du point de vue de la Troïka, la démocratie n’était pas faite pour les peuples déficitaires. Les peuples déficitaires n’avaient plus qu’un droit, celui de se taire et d’obéir à des gouvernements collabos comme celui du Premier ministre Samaras qui est en échec aujourd’hui puisqu’il n’a pas réussi, après trois tentatives, à faire élire par le parlement son candidat au poste pourtant purement théorique de Président de la République. Résultat, dissolution et élection dans la foulée. Et ça, ça ne plait pas du tout à la Troïka. La Troïka n’a pas vraiment de temps à perdre avec des élections. Elle l’avait montré déjà en Italie en forçant le parlement à investir un gouvernement technique, celui de Mario Monti qui devait d’ailleurs connaître une défaite cuisante lors des élections suivantes.
En plus cette fois-ci, qui risque de gagner les élections ? Je vous le donne en mille : Syriza, c’est à dire l’équivalent du Front de gauche en France, avec 30% des voix d’après les premiers sondages. Je vous passe les pressions dont a été victime le parlement grec de la part de la Commission Européenne, les déplacements de Moscovici sur place, les petites phrases de Junker ou le chantage au « chaos » de Samaras : les parlementaires grecs n’ont rien voulu entendre. Et ils risquent donc de faire gagner ce que les journaux français toute tendance confondue ne savent plus trop comment appeler : extrême gauche, gauche extrême, gauche radicale, gauche anti-austéritaire… bref quelque chose qui sera « pire que le communisme » d’après monsieur John Sporter, président de Capital Group, un fonds de pension .
Bon, évidemment, on ne va pas demander à monsieur Sporter d’aller se faire soigner dans des hôpitaux grecs, de regarder la consommation d’anxiolytiques dans le pays, le taux de chômage, celui des suicides et des overdoses, les retraités qui fouillent dans les poubelles du Pirée ou les gamins qui s’évanouissent à cause de la faim dans les écoles qui fonctionnent encore. Non, monsieur Sporter, comme tous nos amis de la Troïka, lui, il juge la bonne santé d’un pays à sa capacité à emprunter sur les marchés. Le reste, ce n’est pas son affaire.
C’est pourtant celle du peuple grec et puis aussi la nôtre, à nous, Français. La bourse d’Athènes a dévissé, le FMI a suspendu sa prochaine tranche d’aide jusqu’à la formation du nouveau gouvernement, ce qui prouve bien que pour n’importe quel pays voulant prendre une autre direction, il va falloir un sacré courage. On ne va pas lui envoyer des tanks comme au Chili en 73, ou pas encore, mais il s’agira de serrer les dents et de résister aux « amicales » pressions. D’autant plus que Syriza, pour peu qu’on regarde les choses froidement, ne va pas transformer la Grèce en république conseilliste (hélas…) mais tout simplement prôner une renégociation de sa dette et un néokeynésianisme somme toute plus proche du New-Deal que de l’appropriation collective des moyens de production, comme disait l’autre.
En fait, fondamentalement, ce qui gêne l’UE dans cette histoire, c’est que les Grecs ne sont pas tombés entre les deux mâchoires du même piège à cons, comme le disait Manchette dans Nada : soit la pensée unique austéritaire, soit les néo-nazis d’Aube dorée. Non, ils ont décidé de ne pas se tromper de colère et ont refusé la paranoïa identitaire en redessinant au passage les contours de la gauche : un parti socialiste devenu groupusculaire remplacé par une gauche…de gauche.
Inutile de dire, alors qu’un scénario similaire se dessine en Espagne avec Podemos, qu’on aimerait bien qu’en France, on en prenne de la graine et que l’on se souvienne que tout Européen a deux patries : la sienne et la Grèce.
*Photo : Petros Giannakouris/AP/SIPA. AP21661179_000003.
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