Même aux Etats-Unis, après la crise de 1929, au bout de six ans, ils avaient compris. Ils avaient déjà élu Roosevelt qui relançait son pays avec le New-Deal, une politique de type socialiste qui donnerait aujourd’hui des malaises vagaux à Mario Draghi. Ou aux habituels éditorialistes de C dans l’air qui disent la même chose que Mario Draghi. Mais tout le monde médiatique et politique ne dit-il pas, aujourd’hui en Europe, la même chose ? À part, peut-être les différents Fronts de Gauche, que ce soit ces temps-ci au Portugal (Bloco de Esquerda, PCP) où un million de personnes- dans un pays qui en compte dix ! – viennent de descendre dans la rue pour protester contre l’austérité et en Espagne (Izquierda Unida) où l’agitation sociale devient endémique et menace l’unité même de la « communauté de nations ».
Seulement, les Américains, en 1932, quand ils élirent Roosevelt et renvoyèrent à ses chères études le libéral Hoover, pouvaient encore voter pour qui leur plaisait et n’étaient pas sous la coupe d’instances supranationales et des amicales pressions qui vont avec. Ce qui fut encore le cas en Grèce, aux législatives du 17 juin 2012 quand la coalition Syriza, le Front de Gauche local, fut devancée de quelques décimales par Nouvelle Démocratie, le parti de droite qui bénéficia ainsi des cinquante sièges accordés en prime à la formation arrivée en tête et qui put faire alliance avec les socialistes du PASOK moribond et une petite formation de centre gauche.
La Grèce étant visiblement notre avenir proche comme elle fut notre passé lointain, trop lointain, on indiquera aimablement à la rue de Solferino et à Matignon qu’il arrive, quand une crise dure trop longtemps que les gens décident de ne plus respecter une alternance classique droite gauche mais se mettent tout simplement à voter… plus à gauche, ou pour formuler les choses autrement, pour une gauche qui se souvient qu’elle est de gauche. L’hégémonie du PS, à gauche, n’ira plus forcément de soi dans les années qui viennent.
Pour en revenir à la Grèce, les partis grecs partisans du mémorandum européen (mémorandum est un mot poli pour dire diktat en 2012) ont sauvé une majorité précaire de justesse, grâce notamment à l’attitude obsidionale du KKE, le parti communiste grec « old school », stalinien comme pas deux et enfermé dans sa logique bolchévique, un peu comme Lutte Ouvrière chez nous, à la différence qu’il peut encore faire élire entre dix et vingt députés.
Et c’est la même histoire depuis six longues années avec un gouvernement grec majoritaire au parlement et minoritaire dans l’opinion qui présente comme en France son projet de budget 2013. Avec pour la sixième fois les mêmes méthodes qui enfoncent un peu plus le pays dans une récession sans fin de plus en plus violente, générant au sein d’une population désespérée les pires pulsions. On se drogue et on se suicide beaucoup en Grèce, ces temps-ci. Et quand on ne retourne pas la violence contre soi-même, on la retourne contre l’immigré. Les agressions racistes et autres ratonnades sont devenues une spécialité dans les quartiers populaires d’Athènes ou Salonique. Il ne s’agit même plus uniquement des délires de quelques militants néo-nazis d’Aube Dorée mais d’un lumpenprolétariat qui s’attaque à ce qu’il a sous la main, un peu comme lors de ce nettoyage marseillais d’un camp rom par les habitants d’un quartier avec incendie à la clef, le tout sous surveillance policière, une des scènes les plus objectivement monstrueuses de cette rentrée si l’on prend le temps de réfléchir à ce que cela suppose en matière de désespérance et de fin d’un certain modèle républicain atomisé par le tout-marché.
Ce budget, bien entendu, comme le sera le nôtre si le Traité budgétaire est ratifié, s’élabore sous la tutelle de la troïka. Elle est composée de deux Allemands-(Matthias Mors (UE) et Klaus Masuch (BCE)-ainsi que du Danois Poul Thomsen du FMI. Evidemment, ils sont moins faciles à trouver que des clandestins albanais quand on est en colère.
Le gouvernement grec table sur une contraction de l’économie de 3,8 à 4% et le projet de budget prévoit 7,8 milliards d’euros de coupes en 2013. Pour trouver cet argent, le gouvernement va, comme d’habitude, tailler dans les retraites, les salaires des fonctionnaires (juges, universitaires, policiers ou pompiers) et les aides sociales. Pour les policiers, qu’ils fassent tout de même attention, le syndrome de la crosse en l’air est quelque chose qui arrive assez souvent dans ce genre de circonstances historiques. Encore une fois, l’église orthodoxe comme les armateurs ne sont pas prévus au programme. Pour les armateurs, l’actuelle équipe gouvernementale a sans doutetrop peur d’une réaction à la Bernard Arnault… Tout cela fait près de 3,5 milliards d’euros d’économies. Une saignée pour quoi faire ? Pour une aumône de 31,5 milliards accordée par la Troïka, qui ira directement recapitaliser les banques privées.
En face, la rue résiste comme elle peut, à coup de grèves générales comme mercredi dernier. Et le cauchemar continue depuis six ans. Six ans de solitude.
*Photo : odysseasgr
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