L’histoire a fait le tour des médias : un contrôle fiscal dans un restaurant en bord de mer sur l’île grecque d’Hydra a dégénéré et tourné à l’émeute après que le propriétaire a refusé d’obtempérer. Le gérant a été mis en garde à vue et, comme l’écrit Alexia Kefalas dans les colonnes du Figaro, « aussi ubuesque que cela puisse paraître, les contrôleurs fiscaux continuent leurs inspections depuis le début de la semaine escortés par des CRS et policiers, sous les huées des Hydriotes et… le regard amusé des touristes ! ».
La tentation est grande de se joindre au ricanement de la journaliste et des touristes qui ont observé ce spectacle avec « amusement ». Quoiqu’on pense de la Grèce et de ses citoyens, il est difficile de ne pas éprouver un certain malaise face à l’amusement des touristes devant un drame humain qui s’est déroulé sous leurs yeux. Il est trop facile de reproduire des clichés sur la Grèce pour caresser le lecteur dans le sens du poil. La mauvaise conduite fiscale grecque a été mille fois dénoncée ces dernières années et, il y a à peine quinze jours, l’émission Capital consacrait un reportage à l’un de ses aspects les moins connus à l’étranger : la fraude systématique aux taxes foncières. Ce qu’il y a de nouveau dans l’affaire d’Hydra n’est pas le manque d’empressement des citoyens à déclarer leurs revenus et à payer leurs impôts, mais plutôt la détermination du nouveau gouvernement à appliquer la loi. En étant un brin machiavélique, on pourrait même penser que ce genre d’anecdotes arrange bien les affaires d’Antonis Samaras, le premier ministre grec, car elles démontrent sa volonté farouche de respecter les engagements pris par la Grèce et exposent en même temps ses difficultés. Ces histoires appuient d’ailleurs les efforts de Samaras pour élargir sa marge de manœuvre auprès de ses créanciers et partenaires européens. Dans l’entretien qu’il a accordé avant-hier au quotidien allemand Bild, il va jusqu’à affirmer : « Tout ce que nous voulons, disait le premier ministre grec en s’adressant directement à l’opinion publique allemande, c’est un peu d’air pour respirer, pour remettre l’économie en route et accroître les revenus de l’État ». Concrètement, Samaras aimerait retarder les échéances pour obtenir un répit qui « permettrait au pays de renouer avec la croissance. »
Le fait d’accorder ou non un délai supplémentaire aux Grecs n’a rien à voir avec leurs perspectives de croissance ou une quelconque question économique.
Si en Espagne, en Italie et au Portugal il s’agit de réparer une machine économique en panne, la Grèce en est encore à construire cette machine. Dans les faits, la Grèce a déjà dépassé le stade de la faillite et personne ne pense qu’elle pourra rembourser ses dettes même dans l’hypothèse d’un rééchelonnement. Contrairement aux apparences, les créanciers d’Athènes veulent avant tout refonder l’Etat grec, le remboursement de la dette leur servant de moyen de pression pour obliger le gouvernement et la société grecs à faire le nécessaire, au risque – comme à Hydra – de frôler le débordement.
Si les créanciers ne passent pas l’éponge sur ce qui reste de la dette grecque, ce n’est pas du tout parce qu’ils rêvent de la voir un jour remboursée mais parce qu’ils sont convaincus que sans cette épée de Damoclès, les autorités grecques choisiraient nécessairement la facilité. Si la pression baisse, si les leaders grecs apprennent par expérience qu’il est plus facile de pleurer sur l’épaule de Merkel que d’envoyer des CRS accompagner les agents du Fisc, les réformes s’arrêteront net et le pays ne sortira jamais de l’ornière. La politique cherche toujours la voie de la moindre résistance. Pourquoi donc fâcher les commerçants d’Hydra, couper salaires et retraites, dérembourser médicaments et traitements quand on peut trouver l’argent plus facilement ? Aussi dur que cela puisse paraître, pour le bien des Grecs, il est primordial de les corseter, de ne leur laisser aucune autre issue que la refonte de leur Etat et de leur contrat social, sans toutefois trop tirer sur la corde. Le jour où ils y arriveront – en remettant notamment sur la table la fiscalisation de l’Eglise et des armateurs – la négociation avec leurs créanciers redeviendra économique. On pourra alors parler modèle économique, coût du travail, consommation et croissance. A ce moment-là, comme par miracle, tout le monde conviendra que la meilleure solution est effectivement d’effacer l’ardoise grecque.
*Photo : YoungJ523
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