De Rimbaud à Macron en passant par Marx et Ferrer, Jérôme Leroy et ses îles grecques nous livrent leurs impressions de l’été.
« Son domaine, azur et verdure insolents, court sur des plages nommées, par des vagues sans vaisseaux, de noms férocement grecs, slaves, celtiques. »
Imaginons que la civilisation occidentale ait fait des Illuminations de Rimbaud son livre sacré plutôt que choisir la Bible. En vérité, mes bien chers frères, je vous le dis, on aurait moins la tête aux massacres et l’argent et beaucoup plus au sexe et aux bains de mer.
La révolution de l’été
On peut penser que c’est par un temps comme celui qui a régné sur toute l’Europe et que la novlangue toujours hideuse appelle « épisode caniculaire », que la révolution éclatera enfin et que la furie prolétarienne balaiera le vieux monde. Il est possible également qu’il n’y ait jamais de révolution et que tout se termine par des épisodes anthropophagiques dans des hypermarchés aux rayons vides. Il est possible, aussi, qu’avec l’aide des discours négationnistes du climato-scepticisme, nous mourrions aveugle. Et pourtant, Rimbaud, encore lui, aurait pu nous prévenir : « Enfant, certains ciels ont affiné mon optique. » Les Illuminations, toujours.
Un hélicoptère passe à basse altitude sur un village des Cyclades étendu dans sa vallée comme une fille qui fait une sieste. Il va surveiller d’éventuels incendies. Eviter le carnage de Mati, près d’Athènes où une centaine de personnes ont brûlé dans des conditions atroces. Là encore le réchauffement climatique n’y est pour rien, bien entendu, ni l’aménagement délirant du territoire. Comme en Suède, où les flammes ont léché pendant des semaines le cercle polaire. « Tout va très bien, madame la Marquise. » A croire que la métaphore de Chirac sur l’avenir de la planète, en 2002, à Johannesburg : « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs » n’est plus une métaphore.
L’hélicoptère insiste dans l’odeur de la cendre et de la résine. On dirait le Sud. Ou la guerre. Nino Ferrer est mort le 12 août, il y a vingt ans, en se suicidant dans un champ, au cœur de l’été. Il avait bien compris cette mystérieuse équivalence entre le Sud et le sentiment paradoxal d’une éternité provisoire.
Ne jamais rentrer. Prendre cette résolution-là individuellement s’appelle une éclipse. La prendre collectivement s’appelle une révolution. Faire un pas de côté. Comme dans l’An 01 de Gébé.
Des nouvelles de l’hypothèse communiste
Il faut nager un peu longtemps et un peu loin pour atteindre ce grand rocher, presque un îlot, au milieu de la baie où d’année en année m’attend une anfractuosité qui a la forme d’un sourire de déesse. La seule que je prie de me laisser revenir éternellement. Pour l’instant, ça va.
Le communisme spontané des habitants de l’île d’Ikaria, depuis l’Antiquité. Il a inspiré Cabet, il est signalé par Marx. Il est la preuve de l’imbécile arrogance des néo-libéraux qui prétendent représenter l’ordre « naturel » des choses. Et quand bien même ce serait le cas, le « naturel » est haïssable. Le « ce qui va de soi« . La civilisation, c’est tout le contraire. Une construction qui n’a rien d’évident, un effort permanent. C’est en ce sens qu’être de gauche est une sculpture de soi et que l’hypothèse communiste est une ornementation du monde, comme le sourire des déesses.
Macron existe-t-il ?
L’été nous aura fait découvrir l’essence du cogito macronien. « J’assume donc je suis (président). » Edouard Philippe avait déjà fait le coup, sur le mode mineur, avec son avion à 350 000 euros pour revenir de Tokyo : « J’assume donc je suis (Premier ministre) ». Assumer, le verbe magique, surtout utilisé pour la com’ de manière intransitive. Assumer serait une condition nécessaire et suffisante pour prouver et légitimer l’existence de Macron, son action et même son caractère sacré. Finalement, peu importe ce qu’on assume. Un libéralisme sauvage, un mépris de classe constant, les renoncements écologiques, la création d’un néo-SAC… Tout est assumé, donc tout est pardonné. On se sentirait même presque obligé, comme les poulpes parlementaires et ministériels qui lui servent d’entourage, de trouver ça vachement courageux. « Tu as vu, le président a décidé d’assumer l’euthanasie pour les plus de 75 ans atteints d’un cancer. C’est super fort, non ? » (la misère du second degré sur Internet nous oblige à préciser que cette mesure ne fait évidemment pas partie des promesses de campagne du président Macron ni d’un quelconque agenda caché.)
Comme souvent, dans les situations pré-totalitaires, le piège politique est d’abord un piège grammatical (Orwell, Klemperer, Hazan.) Et sortir du piège politique, c’est d’abord sortir du piège grammatical. Rappeler qu’il peut y avoir des choses qu’on ne peut pas assumer parce qu’elles sont abjectes. Que le complément d’objet direct est aussi important que le verbe. Qu’assumer n’est pas toujours un signe de courage mais ce qui est le cas avec le macronisme d’arrogance, voire d’inhumanité. Rien d’étonnant : le surnom du président, c’est Jupiter. Un dieu, le chef des dieux même : pas un homme.
« Ma première leçon de civilisation m’avait appris que le bon goût n’était pas dans la modération mais dans la découverte d’accords entre des aspérités. »
(Jacques Laurent, Histoire égoïste)
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