Que d’énergie dépensée pour conjurer l’angoisse hypnotique d’un Grexit. C’est bien simple, tout y est passé. Jamais à court de formules, dirigeants et technocrates se sont succédés à la barre, faisant état de la formidable diversité de leur arsenal rhétorique. De l’argument historique à l’inévitable rengaine du Progrès, de la posture métaphysique au chantage culturel, les acteurs de cette tragédie estivale n’ont reculé devant aucun élément de langage pour marteler leurs slogans. Confondant allègrement (sciemment ?) Europe et zone Euro, incapables d’évoquer en des termes précis les conséquences économiques et géopolitiques d’un retour à la drachme, tous ont fait preuve d’une remarquable créativité argumentative, abreuvant comme il se doit les commentateurs de tous poils sommés de produire du temps d’antenne. Ce festin d’envolées lyriques aura au moins eu le mérite de nous rassasier, amateurs que nous sommes de poésie contemporaine.
Entre l’Ouzo et la Moussaka, passage en revue des différents mets proposés par nos gouvernants.
Le moins digeste : « Parce que la sortie de la Grèce de la zone Euro serait une régression du projet Européen. » (F. Hollande)
Et vlan ! Si avec ça vous n’êtes pas tétanisés au point de signer en bas à droite les yeux fermés, c’est que vous n’avez absolument RIEN compris aux soixante années qui viennent de s’écouler. Cela fait tout de même un bon quart de siècle que l’on s’évertue à nous expliquer ad nauseam que le Projet Européen rime avec « élargissement de la zone euro », et que rien ne doit entraver cette inéluctable marche en avant, pas même un exercice de tricherie avéré sur les comptes de nos partenaires. Pour faire avancer le marché et préserver la démocratie, toutes les méthodes sont bonnes, y compris les moins orthodoxes (une fois n’étant pas coutume). Du côté des zélotes de la monnaie unique, le plaisir ne vaut que s’il est partagé par le plus grand nombre et gare à celui qui émettra la moindre objection argumentée sur ce projet fou qui consiste à doter de la même devise des pays qui ne savent faire converger ni leur budget, ni leur fiscalité. Toujours prompt à agiter le spectre de la « régression démocratique », les cassandres institutionnelles ne se sont pourtant nullement émues lorsque la Troïka et le gouvernement grec décidaient, d’un commun accord, de s’asseoir sur le referendum du 5 juillet dernier, rare moment d’expression populaire dans cette Europe qui tourne à vide.
Le plus fade : « Parce que la Grèce est un grand pays Européen. » (M. Valls)
Comprenez : bouter les grecs hors de la zone Euro reviendrait à nier pareille évidence historico-géographique. Ou encore : se résoudre au Grexit, ce serait prendre le risque de rompre définitivement le lien « irremplaçable » entre Paris et Athènes, berceau de l’Europe et de la démocratie, incarné par des figures tutélaires, de Jacqueline de Romilly à Costa Gavras en passant par Mélina Mercouri. On en frémit d’avance.
Ravi de rappeler aux parlementaires de l’opposition que la Grèce entrait dans l’Union européenne sous l’impulsion de VGE en 1981, notre Premier ministre omet de préciser que le même Giscard défend aujourd’hui l’idée d’une Europe à deux vitesses qui, selon lui, serait désormais une réalité ne demandant qu’à être institutionnalisée. A la lumière de sa longue expérience, l’ancien président plaide en effet pour la consolidation d’un noyau dur européen, autour des pays les plus solides de la zone euro, qui doit s’affirmer et devenir pilier, faute de quoi l’union des 28 s’affaiblira et perdra de son influence. Une analyse qui, de toute évidence, n’a pas retenu l’attention d’un Manuel Valls, trop pressé de sacrifier l’étude rigoureuse des faits sur l’autel de la grandiloquence la plus caricaturale.
Alors que notre austère voisin ne jure que par la vérité des chiffres, le gouvernement français tente de rééquilibrer les débats par de beaux discours. Du côté de Matignon, on n’a jamais été aussi bien que planté sur ses grands chevaux.
Le plus savoureux : « Parce que le Grexit serait un saut dans l’inconnu. » (à peu près tous les experts de France et de Navarre)
Amis cosmonautes, bonsoir. Il apparaît que les européistes professionnels sont comme pris d’un terrible vertige à l’idée de s’aventurer sans carte ni boussole hors de leur pré carré monétaire. Ils ont même une fâcheuse tendance à chanceler lorsque, devant eux, se dessine le vide intersidéral de l’Inconnu. Qu’il soit d’ordre juridique ou démocratique, cette absence de matière est de nature anxiogène et accule certains à la panique voir à l’agressivité. Qu’un grain de sable vienne enrayer la machine bruxelloise et tous expriment à l’unisson ce besoin impérieux d’un retour illico aux affaires courantes. Préjudiciable à l’intérêt général, une telle idéologie a un nom : le précautionnisme. Une doctrine macabre qui sévit au plus haut niveau de nos institutions et qui croit voir dans le principe de précaution l’expression du bon sens, alors que son application systématique inspire des décisions plus que contestables, pour ne pas dire dommageables. A force de minimiser les risques de tous ordres, convaincu qu’il faut fuir l’incertain comme la peste, le projet européen s’expose à une mort lente par « inertie technocratique ».
Un Grexit – ou du moins une période de suspension de le Grèce de la zone Euro, comme suggérée par certaines voix outre-Rhin – aurait peut-être pu ouvrir la voie à un examen de conscience approfondi sur les errements de la gouvernance économique de l’Union, posés jadis par les critères de Maastricht. Un exercice pour le moins salutaire à l’heure où la construction européenne bat tous les records d’impopularité auprès des peuples concernés. Mais cela a finalement pesé peu au regard de l’ardent désir pour chacun de retourner à ses petites affaires.
*Photo : Pixabay.com
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