Le Grexit a bien eu lieu… en 1908


Voilà des mois que la chose agite tous les milieux. Remise en question irréparable de la cohésion européenne ou libération salutaire des peuples otages de la Troïka, une hypothétique sortie de la Grèce de la zone euro représente en tout cas, aux yeux de tous, un événement majeur aux conséquences aussi imprévisibles qu’exaltantes; une sorte de Big Bang à l’échelle de l’Union Européenne.

C’est omettre un peu vite que l’Histoire a une fâcheuse tendance à se répéter, et les hommes une fâcheuse tendance à l’oublier.

Les plus érudits d’entre nous savent, par exemple, que le premier « Grexit » de l’Histoire date… de 1908. L’Union Latine, précédent de la zone euro, avait été instituée en 1865 par Napoléon III avec le concours de son ministre, Felix Esquirou de Parien, et regroupait la France, la Belgique, la Suisse et l’Italie. Supposée lutter contre la suprématie monétaire du Royaume-Uni pourvu de la puissante livre sterling, l’Union Latine exigeait de ses membres qu’ils battent une monnaie dotée du même calibrage en or et en argent. Interchangeables, ces pièces circulaient parallèlement aux monnaies nationales. La Grèce y adhéra trois ans plus tard, en 1868 mais fut rattrapée dès 1893 par la faillite suivie d’une cuisante défaite militaire contre les Turcs en 1897. Dès lors, l’État hellénique fit face en décidant unilatéralement de diminuer la part d’or des pièces frappées au nom de l’Union Latine.

La tricherie (ce n’est pas nous qui dénonçons, mais l’économiste et historien Jean-Marc Daniel interrogé par le Monde) mise au jour, les autres membres imposèrent un Grexit en 1908. L’Union prospéra malgré cela jusqu’en 1927, cédant à la domination de l’étalon-or.

La morale de l’histoire ? Ni la présence de la Grèce dans une quelconque union monétaire ou politique, ni même l’existence de cette même union ne sont essentielles et nécessaires à la survie de l’espèce humaine.

Notons enfin, à titre de remarque, que la coexistence prospère des monnaies souveraines et de la monnaie d’échange de l’Union Latine au sein des quatre États concernés pourrait constituer un sérieux exemple de réussite à l’attention nos contemporains désireux de sauver les meubles bruxellois.



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étudie la sophistique de Protagoras à Heidegger. Elle a publié début 2015 un récit chez L'Editeur, Une Liaison dangereuse.

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